vendredi 22 novembre 2019

Corrigé d'une dissertation : Croire, est-ce renoncer à la raison ?

Quand on voit des hommes chercher à lire l’avenir dans les entrailles des animaux, on en vient à se poser la question : croire, est-ce renoncer à la raison ?
Croire, c’est-à-dire adhérer à une idée sans chercher si elle est vraie ou fausse, semble impliquer de renoncer à la raison qui est la faculté qui nous permet de réfléchir, de chercher à prouver ce que nous pensons de façon d’abord hypothétique.
Cependant, la raison ne peut tout examiner, tout expliquer. Il faut bien qu’elle accepte, voire qu’elle s’appuie sur des croyances, autrement dit, il paraît alors que croire ne serait pas renoncer à la raison.
On peut donc se demander s’il y a des conditions pour lesquelles croire est renoncer à la raison.
On verra que croire, c’est renoncer à la raison lorsqu’on n’en use pas bien, puis que c’est dans le domaine de la foi que ce renoncement est délibéré, enfin que la foi elle-même est une condition de l’usage de la raison.


Croire, c’est adhérer à une idée, la considérer comme vraie. Lorsqu’on croit sans examiner par la raison, c’est-à-dire par la faculté qui nous permet de déterminer si quelque chose est vrai ou faux à partir de preuves, on renonce à la raison. Mais ce n’est pas le cas, lorsqu’on examine par la raison. Il est vrai que comme Diderot le soutient dans l’article « croire » de l’Encyclopédie, il peut se faire qu’on ait mal examiné la proposition ou le fait auquel on adhère. Dans la mesure où la raison appartient à tout homme, un total renoncement à la raison paraît impossible. Il ne peut qu’être provisoire, partiel. Finalement, il dépend du sujet de croire sans renoncer à la raison. Qu’en est-il alors des propositions sur lesquelles on s’appuie pour prouver ?
Même si on ne peut tout examiner, on peut accepter sans renoncer à la raison les propositions évidentes. Celles qui apparaîtront ainsi sont celles qu’on aura essayé de réfuter sans y arriver et non celles qui se présentent comme évidentes sans examen. Ainsi, c’est lorsqu’on accepte comme évidents les préjugés qu’on croit en renonçant à la raison. Là encore, il dépend du sujet de les refuser. Les préjugés sur les autres sont faciles à réfuter. Il faut donc admettre que ceux qui y adhèrent renoncent à la raison.

Cependant, on voit donc que si la condition pour croire en renonçant à la raison est de ne pas l’utiliser, cela revient à dire que dès qu’on l’utilise, on ne peut pas ne pas croire en s’appuyant sur la raison. Or, il arrive qu’on croie sans aucune preuve, voire sans aucune évidence, en toute connaissance de cause. N’est-ce pas alors que croire est bien renoncer à la raison de façon positive et délibérée ?


Il y a une croyance qui montre vraiment ce qu’est la croyance, c’est celle en Dieu. Il faut entendre par là le Dieu de la religion, le Dieu qui promet le salut à ceux qui croient en lui. Pascal, dans les Pensées, soutient que la raison ne peut déterminer s’il existe ou pas. C’est un Dieu révélé et en même temps caché à la raison. On ne peut qu’avoir ou non confiance en sa parole. Et cette confiance elle-même présuppose qu’on croie en son existence. La foi consiste à croire absolument alors que les croyances habituelles sont susceptibles de se transformer en hypothèses ou en connaissance. Dès lors, chacun a le choix entre croire en Dieu et ne pas y croire. Pour croire, il faut donc « renoncer à la raison » comme l’écrit Pascal dans ses Pensées (n°418, Lafuma)). C’est pourquoi « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point » (Pascal, Pensées, n°423, Lafuma). En effet, le choix que l’on fait échappe à la connaissance rationnelle tout en ayant des motifs. Mais, faut-il choisir ?
Le choix est nécessaire, c’est-à-dire qu’on ne peut pas ne pas choisir. Et comme la raison ne peut éclairer le choix, il faut parier. Car, comme le dit Pascal, on est embarqué. On ne peut vivre sans choisir. Aussi est-il impossible de ne pas croire, soit en Dieu, soit qu’il n’existe pas. On ne peut suspendre son jugement puisque croire en Dieu, c’est choisir un mode de vie et ne pas y croire, c’est en choisir un autre. Il est donc nécessaire de choisir l’un ou l’autre. Et pour Pascal, il faut choisir de croire en Dieu, car le gain est infini si on gagne et on ne perd rien si le pari est perdu. C’est pour cela que croire au sens de la foi est bien renoncer à la raison. Car la raison ne permet en aucun cas de savoir si le témoignage de la parole de Dieu qu’est le texte religieux, voire la présence de Dieu dans l’expérience mystique, sont vrais ou non.

Néanmoins, on peut remarquer que Pascal lui-même use de la raison entendue comme calcul des probabilités pour énoncer son argument. Sa croyance n’est donc pas un « renoncement à la raison » absolu. Ne faut-il pas qu’il y ait dans l’usage même de la raison une sorte de croyance ? Croire, n’est-ce pas une condition de l’usage de la raison ?


Il est vrai que l’usage de la raison, notamment en science exige qu’on rejette absolument de croire. Il faut entendre par là une conviction, c’est-à-dire une adhésion ferme à un point de vue qu’on considère comme vraie. Dès lors, du point de vue scientifique, croire semble être renoncer à la raison. Le savant, en effet, s’il fait entrer une croyance dans le champ de la science, la transforme en hypothèse, c’est-à-dire la détruit comme croyance. Dès lors, la croyance paraît impliquer de renoncer à l’usage scientifique de la raison puisque la science implique le rejet total de la croyance. N’y a-t-il pas pourtant de la croyance même dans la science pour qu’elle soit possible ?
Pourtant, même le scientifique doit s’appuyer sur une croyance : c’est la croyance en la nécessité de la vérité comme Nietzsche l’énonce dans Le Gai Savoir (livre V, n°344). Sans cette croyance, le savant ne pourrait commencer à rechercher la vérité. Et puisqu’il ne la connaît pas dans la mesure où il la cherche, il ne peut que croire en elle. Sans elle, il ne sacrifierait aucune croyance sur l’autel de la science. Cette croyance en la nécessité de la vérité est bien de l’ordre de la foi, c’est-à-dire d’une confiance absolue. Loin donc d’impliquer le renoncement à la raison, la foi la rend bien plutôt possible. C’est cette foi qui explique comment un savant comme Pascal a pu tout aussi bien être en même temps un homme religieux.


Disons donc en guise de conclusion que le problème était de savoir s’il y a des conditions pour lesquelles croire est renoncer à la raison. Il est apparu que ni le mauvais usage de la raison, ni la foi n’implique finalement de renoncer à la raison. C’est que croire au sens de la foi est bien plutôt ce qui rend possible l’usage de la raison lorsqu’elle est foi en la vérité.


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