On admet généralement que la liberté est une donnée de la nature humaine. Non seulement du point de vue politique comme l’indique les déclarations des droits de l’homme qui se prononcent sur l’innéité et l’inaliénabilité de la liberté, mais également d’un point de vue métaphysique. L’homme comme sujet est libre : c’est ce qui le rend responsable.
Toutefois, on admet tout autant que l’homme doit être éduqué. Sans quoi, il n’est pas véritablement libre mais soumis à ses désirs.
Dès lors, on peut se demander si l’homme peut apprendre à être libre et si oui, comment. Le libre arbitre suffit-il à rendre l’homme libre ? Doit-il manifester pratiquement sa liberté ? Ne lui faut-il pas découvrir les causes qui le déterminent pour se libérer ?
Être libre, c’est fondamentalement être capable d’agir de soi-même. Certes, on dit parfois que l’oiseau est libre ou que la rivière dans son lit coule librement. Mais il est clair que l’étourneau, conduit par son instinct à rejoindre un autre continent en fonction de la température, est agi plutôt qu’il n’agit comme Thomas d’Aquin dans la Somme théologique (XIII°) l’indiquait. C’est pourquoi aucun animal n’est vraiment libre. Aussi la liberté est-elle plutôt libre arbitre, c’est-à-dire la capacité de choisir sans être déterminé par des causes extérieures ou intérieures.
Or, le libre arbitre ne s’apprend pas. On le possède ou pas. Lorsque Descartes par exemple veut prouver que nous sommes doués de libre arbitre dans les Principes de la philosophie, il s’appuie sur le fait que pour douter de façon méthodique qui consiste à rejeter tout ce qui semble douteux, il faut résister à ses représentations que l’on admettait vraies, ce qui révèle le libre arbitre. Il est donc la condition de toute réflexion, de toute pensée et aussi de toute action. Mieux, il faut être libre pour apprendre de sorte qu’on ne peut apprendre à être libre.
Cette liberté native n’exige aucun apprentissage, aucune éducation puisqu’elle consiste dans la pure capacité de choix. Je puis apprendre pour mieux connaître le monde naturel ou social. J’agirais alors en connaissance de cause. On peut admettre avec Descartes selon la quatrième de ses Méditations métaphysiques (1642) que la liberté admet des degrés en fonction des connaissances. Plus je connais et plus je suis libre. Mais je n’apprends pas à être libre. C’est pour cela que Descartes peut préciser dans sa Lettre au père Mesland du 9 février 1645 que notre liberté nous permet d’agir contre l’évidence. Autrement dit, la connaissance incline l’action mais ne la détermine pas.
Cependant, l’affirmation du libre arbitre reste abstraite. Car, encore faut-il pour être libre que mon choix soit celui de la liberté et non de la servitude. Dès lors, le sujet ne doit-il pas apprendre à être véritablement libre, c’est-à-dire à se déterminer pour la liberté véritable ? Comment peut-il alors l’apprendre ?
Le sujet doit apprendre à être libre en ce sens qu’il doit prouver à autrui pour se savoir libre qu’il l’est, c’est-à-dire qu’il a une liberté concrète mais non une liberté abstraite. Par liberté abstraite, il faut entendre le choix qu’est le libre arbitre. Par liberté concrète, il faut entendre l’adéquation du choix avec le fait d’être un sujet libre. Or, la conscience d’être libre ne suffit pas puisque la simple affirmation de la liberté n’est pas encore la liberté.
C’est pour cela que Hegel, notamment dans Propédeutique philosophique (1808-1811), soutient que le sujet pour être véritablement lui-même, c’est-à-dire un être libre, doit être reconnu par l’autre. Et cette reconnaissance n’est possible que si chacun des sujets montre à l’autre qu’il tient plus à sa liberté qu’à sa vie. Dans la lutte pour la reconnaissance qui s’ensuit, il apparaît que le sujet qui a préféré la liberté à la vie se sait libre alors que celui qui a préféré la vie à la liberté se sait non libre. C’est donc l’action en tant qu’elle implique qu’autrui nous reconnaisse qui nous permet de nous apprendre qu’on est libre ou non. Pour le dire comme Axel Honneth (né en 1949), la reconnaissance précède la connaissance.
Et c’est non seulement cette action, mais également notre relation avec les choses. Car, le serviteur, dans la crainte où il est de son maître, travaille. Dès lors, non seulement il doit apprendre à différer la réalisation de ses désirs, ce qu’on peut appeler volonté, mais il réalise dans les choses une forme qui vient de lui et s’apprend ainsi à lui-même un pouvoir de réaliser ce qu’il veut.
Dès lors, il acquiert la condition de la vraie liberté qui n’est pas seulement de commander, mais également d’être capable d’obéir à lui-même. C’est pour cela que Hegel peut faire remarquer que sur le plan politique il en va de même. La tyrannie de Pisistrate a permis d’apprendre aux Athéniens d’obéir aux lois que Solon leur avait données. La démocratie, régime de liberté, n’a de sens qu’avec la vraie liberté, qui est l’obéissance volontaire aux lois, ou autonomie et qui n’a rien à voir avec le fait de se soumettre servilement à l’autorité de peur des conséquences.
Néanmoins, il revient à chacun de choisir ou non ce qui va lui permettre d’apprendre de sorte qu’il y a une contradiction à penser que la liberté réside quant au fond en un choix et qu’elle s’apprend. Dès lors, ne faut-il pas penser que la liberté ne réside pas dans le choix et que c’est pour cela qu’elle s’apprend ?
En effet, apprendre, c’est savoir que faire et comment faire. Et être libre, c’est agir en connaissance de cause. Platon, au début du livre VII de La République, l’illustre dans son allégorie de la caverne. Il y représente des hommes enchaînés qui regardent un mur où défilent des ombres d’objets qui passent derrière eux portés par des hommes qui parlent entre eux et qu’éclaire un feu placé sur une hauteur. Ceux-ci croient avoir affaire à la réalité en quoi ils se trompent. L’un d’eux est libéré et après maintes tribulations finit par sortir de la caverne et à découvrir la réalité. Il tentera de libérer ces anciens compagnons. Platon nous représente ainsi qu’il n’y a de liberté que dans et par la connaissance de sorte qu’apprendre à être libre est nécessaire.
Cette liberté n’est pas le libre arbitre, c’est l’action qui émane de l’individu. Et elle n’est possible que si on sait ce qui nous fait agir. On peut donc dire avec Spinoza que non seulement, il faut tenir le libre arbitre pour une erreur, mais qu’il faut s’en libérer comme il l’indique dans la Lettre58 à Schuller. Une pierre qui roule qui serait douée de conscience croirait agir librement parce qu’elle ne connaît pas les lois qui la déterminent. En sachant qu’il y a des causes qui agissent sur nous, on est susceptible d’agir sur elles et ainsi d’obtenir ce qu’on veut.
On peut dire que c’est là le sens de la cure psychanalytique. Lorsqu’un individu n’arrive pas à comprendre ce qui lui arrive comme cette dame qui courrait de sa chambre à son salon sans savoir pourquoi dont le cas est relaté par Freud au chapitre 17 de son Introduction à la psychanalyse, c’est qu’il y a des causes inconscientes qui la font être ainsi agi. Lorsqu’elle découvre qu’elle revit une nuit de noces ratée, elle peut alors se libérer de cette action compulsive. C’est en ce sens qu’il faut apprendre à être libre dans la mesure où il n’y a de liberté que dans la libération.
Bref, le problème était de savoir s’il était possible d’apprendre à être libre. Il est apparu que si on entend par liberté le libre arbitre, dès lors, il est strictement impossible d’apprendre à être libre puisque c’est au contraire la liberté qui permet d’apprendre. Toutefois, cette définition est apparue abstraite. Le sujet doit apprendre s’il est libre ou non en se faisant reconnaître par les autres sujets. C’est donc en agissant qu’il s’apprend à lui-même s’il est libre ou soumis. Cependant, même reconnu, le sujet peut être agi sans le savoir. C’est pourquoi il lui faut bien plutôt pour apprendre à être libre connaître les déterminismes qui pèsent sur lui et donc se libérer d’abord de l’idée de libre arbitre. Autrement dit, c’est bien en apprenant que le sujet se libère et devient libre.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire