vendredi 1 novembre 2019

Corrigé d'une dissertation : Doit-on toujours chercher à savoir la vérité ?

On sait l’importance de la figure du savant dans la modernité, lui qui, jour après jour, cherche la vérité. On valorise ainsi le fait de toujours chercher à savoir la vérité. Le doit-on ?
Si on pose que c’est une obligation de toujours chercher à savoir la vérité, c’est-à-dire de ne jamais s’arrêter dans la quête de preuves afin de distinguer le vrai du faux, elle paraît absurde, car, dès lors, aucun savoir ferme ne serait possible. Une quête infinie ne semble-t-elle pas vaine ?
Cependant, comment fixer des limites à la recherche de la vérité ? N’est-ce pas une obligation, pour le bien des hommes, voire une nécessité pour ne pas en rester dans l’erreur ou l’illusion que de toujours chercher la vérité ?
Dès lors, on peut se demander dans quelle mesure c’est une obligation ou une nécessité de toujours chercher à savoir la vérité.
On verra en quoi on peut considérer que toujours chercher à savoir la vérité est une nécessité puis en quoi elle a pour limite des croyances qu’on doit admettre sans discuter pour enfin voir en quoi toujours chercher à savoir la vérité est une obligation.


On peut considérer que toujours chercher à savoir la vérité est une nécessité tout au moins conditionnelle. En effet, c’est la condition pour sortir des erreurs, des illusions, voire simplement des croyances injustifiées. Or, l’erreur est susceptible de nous nuire, directement, lorsqu’elle concerne la santé et même la vie en général qu’on peut ainsi rater. L’illusion, soit l’erreur qui persiste, si elle n’est pas connue, a les mêmes effets. Quant aux croyances injustifiées, elles nous livrent aux autres qui peuvent, à partir d’elles, nous amener à croire, voire à faire ce qu’il y a de pire. N’est-ce pas parce qu’ils ne cherchaient pas toujours la vérité que nombres de peuples sont tombés dans des croyances, des idéologies, c’est-à-dire des représentations du monde, qui les ont fait verser dans le fanatisme et finalement sombrer dans le malheur ? Mais doit-on mener une telle recherche seulement pour des raisons négatives ?
L’aspect positif, c’est qu’en cherchant toujours à savoir la vérité, on peut découvrir ce qui est utile pour l’individu ou la société. Ainsi, c’est en cherchant toujours la vérité que la médecine permet d’améliorer les soins. Soit des découvertes servent directement ou après coup à trouver des remèdes. Ainsi, la découverte de la fonction glycogénique du foie par Claude Bernard (1813-1878) a rendu possible la compréhension du diabète (cf. Claude Bernard [1813-1878], Leçons sur le diabète et la glycogenèse animale, 1877). Soit, elles permettent de comprendre notre environnement, notre univers et permettent ainsi de remplacer les représentations mythiques qui, pour séduisantes qu’elles sont, ne sont guère satisfaisantes du point de vue de la raison. Entre le récit de la Théogonie d’Hésiode (VIII°-VII° siècle av. J.-C.) qui fait de la Terre une déesse d’où naissent le ciel et les autres astres et les hypothèses de l’astrophysique contemporaine sur le big bang, la première peut prêter à sourire. N’y a-t-il que l’aspect utilitaire qui importe dans la nécessité de chercher à savoir la vérité ?
L’homme, à la différence de l’animal, se représente l’univers dans lequel il vit. Quelles que soient les sociétés, on trouve toujours au moins des représentations mythiques. On peut dire avec Aristote dans la Métaphysique (livre A, chapitre 2) qu’elles sont le fruit de l’étonnement et non d’un intérêt utilitaire. C’est encore plus vrai de la philosophie. Ce qui rend nécessaire de chercher à savoir la vérité, c’est finalement qu’elle est à elle-même sa propre fin et qu’elle libère l’homme de l’utilité. Aussi la philosophie dont c’est la fin apparaît comme une discipline libérale et non utilitaire. Toujours chercher à savoir la vérité, c’est réaliser une des potentialités humaines.

Toutefois, la nécessité de chercher à savoir la vérité se heurte à un obstacle : non pas simplement qu’il faut bien trouver sinon l’activité paraît vaine, mais surtout qu’il faut bien s’arrêter pour agir, voire pour connaître. Dès lors, comment s’arrêter sans empêcher de chercher de savoir la vérité et donc de commettre en quelque sorte une faute contre l’esprit humain ?


En effet, il faut bien comme Tocqueville le soutient à juste titre dans le tome II De la démocratie en Amérique (1840), que celui qui cherche la vérité s’arrête en admettant certaines croyances. Dès lors, il n’est absolument pas nécessaire de toujours chercher la vérité, car, c’est impossible. Le savant doit au contraire admettre certaines croyances qui rendent possibles la recherche de la vérité. Toujours chercher à savoir la vérité est impossible en ce sens. Il faut s’en tenir au problème précis à résoudre et admettre ce qui rend possible sa résolution. Qui veut faire une addition ne va pas commencer par remettre en cause toute l’arithmétique et tenter de la reconstruire dès les fondements. L’idée d’une recherche perpétuelle revient finalement au scepticisme qui doute pour douter (cf. Descartes, Discours de la méthode, deuxième partie, AT, VI, 29) et finalement ne recherche pas la vérité.
Et il faut également ne pas chercher à savoir la vérité lorsqu’il s’agit de relation avec les autres car cela nuit à la confiance, voire cela la détruit. Ainsi, dans le Don Quichotte (tome 1, 1605, chapitre 33 et 34) de Cervantès (1547-1616), se trouve insérée une nouvelle concernant deux amis. Anselme demande à son ami Lothaire de tester la fidélité de sa femme Camille. Bien évidemment, quoiqu’il ait différé la demande de son ami, il finit par tellement bien éprouver la fidélité de Camille, qu’ils tombèrent réciproquement amoureux l’un de l’autre et trompèrent Anselme. C’est bien d’avoir cherché à savoir la vérité à l’aide d’une épreuve qui a rompu sa relation avec sa femme. Aussi, dans les relations avec les autres, il ne faut pas toujours chercher à savoir la vérité, il faut préférer la confiance tant qu’elle n’est pas mise en défaut. Or, ne faut-il pas toujours chercher des preuves si on veut véritablement savoir la vérité ?
Pour que la vérité elle-même puisse être recherchée, il faut croire en son existence. On ne peut donc passer son temps à la chercher. En effet, si on peut chercher si telle ou telle proposition est vraie, la vérité elle-même doit être admise pour que la recherche ait un sens. Autrement dit, le savant doit croire en la vérité. Il doit avoir foi en elle sinon il ne pourrait chercher. Même s’il considère ses propres théories abondamment prouvées par des expériences comme hypothétiques parce que des expériences nouvelles et jusque-là inconnues peuvent toujours les remettre en cause, il ne peut considérer la vérité elle-même comme hypothétique. Il doit donc admettre qu’il y a une théorie ultime expliquant tous les faits qui est l’objet de sa recherche. Il ne peut donc pas toujours chercher à savoir la vérité puisqu’il doit croire en elle.

Néanmoins, admettre des croyances comme bases pour rechercher à savoir la vérité ou pour fonder la confiance en autrui, c’est finalement accepter de rester dans l’ignorance, voire de favoriser la paresse. Cela revient à vouloir être trompé ou à tromper les autres, ce qui est contraire à toute morale. Dès lors, n’est-ce pas une obligation que de toujours chercher à savoir la vérité ?


Ne pas toujours chercher la vérité, qu’est-ce sinon se complaire dans l’ignorance qui consiste à croire savoir ce qu’on ne sait pas, ignorance coupable comme le montre Socrate à Alcibiade, le personnage éponyme d’un dialogue de Platon (Alcibiade majeur, 118a). S’il n’est peut-être pas nécessaire de toujours chercher la vérité, c’est par contre une obligation : c’est en ce sens qu’on doit toujours chercher la vérité. En effet, refuser une telle obligation, c’est finalement accepter d’être trompé, d’être dans l’erreur et que les autres le soient aussi. Si le curieux malavisé de Cervantès a eu tort de chercher à tester la fidélité de sa femme en utilisant son ami, c’est finalement parce que son amour pour sa femme exigeait qu’elle fût désirée par un autre. Il voulait moins savoir qu’il ne désirait l’autre qu’à la condition qu’elle fût désirée. Chercher à savoir est bien un devoir dans les relations humaines mais non en cherchant à tromper l’autre comme la nouvelle de Cervantès nous le présente. Toutefois, n’est-ce pas impossible de toujours chercher à savoir la vérité ? Comment pourrait-ce être une obligation ?
Il est possible de remplir cette obligation si on ne croit pas que ce à partir de quoi on examine est vrai. Autrement dit, on ne peut certes tout examiner. Il suffit de tenir pour une hypothèse ou un ensemble d’hypothèse ce qu’on n’examine pas dans une question déterminée. Pour cela, on peut considérer que la vérité auquel on parvient dans la recherche est la vérité technique et non la vérité absolue comme Bertrand Russell le soutient dans Science et religion (chapitre 1, 1935). Autrement dit, les résultats auxquels on parvient dans la recherche scientifique sont admis comme des approximations et non comme des vérités absolues. Dès lors, c’est bien une obligation réalisable de toujours chercher la vérité. C’est souvent une obligation juridique, notamment dans le domaine de la justice. Car, en quelque sens qu’on entende la vérité, elle est présupposée pour qu’il y ait justice. C’est évidemment le cas dans un procès où la recherche de la vérité est le fondement de toute condamnation. C’est la raison pour laquelle le doute profite à l’accusé. On comprend que Charles Péguy (1873-1914) ait pu écrire dans ses Pensées (posthume 1936) : « Quand on manque à la vérité, on manque forcément à la justice : à vérité incomplète, justice incomplète, c’est-à-dire injustice. » (cité par Romain Rolland [1866-1944] dans son Péguy [1945], 2015). Et c’est pour cela que c’est bien une obligation de toujours chercher à savoir la vérité au sens moral car c’est la condition pour être juste avec autrui ou tout au moins pour éviter l’injustice qui consiste à le traiter comme une simple chose et non selon sa dignité. Or, ne faut-il pas au moins croire en la vérité ?
En fait, cette vérité qu’on cherche, il revient à la philosophie de chercher à la comprendre, voire de la contester pour véritablement savoir si on a raison de l’admettre ou non. L’analyse qui en fait un présupposé de toute recherche présuppose elle-même la recherche sur la vérité. C’est pour cela que le scepticisme a au moins le mérite d’empêcher de simplement croire en la vérité, lui qui remet en cause la possibilité de la connaître. De même le relativisme, quoi qu’il soit paresseux en posant comme vérité absolue que toute vérité est relative au point de vue de chacun, oblige, par la contradiction qui l’habite (c’est-à-dire affirmer une vérité absolue tout en niant qu’il y en ait), à chercher dans quelle mesure on peut parler de vérité absolue. C’est ainsi qu’en distinguant vérité absolue et vérité technique, Russell, dans Science et religion, montre justement en quoi consiste chercher à savoir la vérité pour la philosophie.


En un mot, le problème était de savoir si toujours chercher à savoir la vérité est une nécessité ou une obligation ou ni l’un ni l’autre. On a pu voir en quoi c’est une nécessité conditionnelle qui rend possible de sortir des erreurs et des illusions qui risquent de nous faire rater notre vie. Or, une telle quête par son infinité paraît strictement impossible, voire nuisible aux relations humaines. Elle n’en est pas moins une obligation, si, à la place de toujours chercher la vérité absolue, on admet des vérités provisoires comme tremplin pour chercher à savoir si la vérité absolue est possible ou non.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire