dimanche 17 novembre 2019

Corrigé d'une dissertation : Toute vérité a-t-elle besoin d'être prouvée ?

On oppose souvent les sciences aux autres domaines parce qu’elles seraient le lieu où la vérité est prouvée. L’expression « scientifiquement prouvée » vise en ce sens à être un argument d’autorité, voire l’argument d’autorité de la culture moderne.
Il semble en effet évident qu’une vérité ait besoin d’être prouvée sans quoi il serait facile de la contester. C’est la raison pour laquelle les scientifiques cherchent à prouver leurs hypothèses pour les transformer en connaissances ou que les philosophes cherchent à rendre raison de ce qu’ils avancent.
Toutefois, comme toute preuve aurait elle-même besoin d’être prouvée, s’il fallait prouver toute vérité, non seulement on n’aurait jamais fini de prouver mais en en sens il n’y aurait aucune vérité prouvée.
On peut donc se demander s’il y a des conditions qui nous permettent d’admettre des vérités qui ne seraient pas prouvées et si non, comment entendre que toute vérité a besoin d’être prouvée.


Pour que toutes les vérités soient prouvées, il semble évident de les rapporter à l’expérience. En effet, prouver, n’est-ce pas faire une expérience pour vérifier si une hypothèse est vraie ou fausse. En ce sens, ce sont les sciences expérimentales (physique, biologie, etc.) qui prouvent véritablement. Si les théorèmes des mathématiciens sont vrais, n’est-ce pas parce qu’il est possible de les appliquer dans l’expérience ? Par exemple, pour prouver que la Terre est sphérique, Aristote proposa comme l’observation d’une forme courbe faite lors des éclipses de Lune : c’est la forme de la Terre. Il réfute ainsi la thèse selon laquelle la Terre est plate soutenue par Thalès (fin VII°-VI° av. J.-C.). La preuve a pour rôle de trancher entre des thèses opposées. Sans elle, aucune controverse ne pourrait s’achever.
Pourtant, l’expérience ne peut être considérée comme une preuve définitive, car, non seulement comme elle est particulière, elle ne prouve pas définitivement une proposition universelle, mais en outre, elle peut confirmer une hypothèse qui se révélera fausse. Par exemple, Copernic (1473-1543) avait conçu une preuve expérimentale du mouvement de la Terre autour du Soleil qui consistait en l’observation d’un angle différent dans la perception d’une étoile, ce qu’on nomme un effet de parallaxe. Or, l’astronome Tycho Brahe (1546-1601) crut réfuter la thèse de Copernic parce qu’il n’observa aucune parallaxe. Ce n’est qu’en 1838 que la première parallaxe put être observée. Autrement dit, ce qu’une expérience prouve, une autre expérience peut le réfuter. C’est pourquoi il n’est pas possible de prouver absolument dans les sciences expérimentales. Aussi, à la condition d’admettre le caractère provisoire de la preuve, il faut considérer toutes les vérités des sciences expérimentales comme elles-mêmes provisoires. En ce sens, il est possible de toutes les prouver, soit directement par une expérience qui ne les infirme pas, soit indirectement en les déduisant de propositions prouvées par l’expérience.

Toutefois, comme toutes les sciences reposent sur des principes, comme on ne peut les démontrer sans quoi il faudrait admettre d’autres principes et ainsi de suite, faut-il considérer que ceux-ci sont vrais même s’ils ne sont pas prouvés ?


La raison, entendue comme la faculté qui permet de démontrer, ne peut donc tout démontrer. Dès lors, il faut peut-être convenir qu’il y a d’autres sources de connaissance de la vérité que la démonstration. C’est notamment ce que Pascal nomme le cœur dans les Pensées (fragment 110 Lafuma). En effet, si l’on veut démontrer par exemple que l’on ne rêve pas, nous n’y arriverons pas. De même, un amour vrai ou une vraie amitié ne se démontre pas. Qui demande des preuves à son ami doute de lui et donc nie la confiance qui est un caractère de l’amitié. À plus forte raison, la personne amoureuse qui cherche des preuves trahit la personne aimée. Ce que donc le cœur rend possible, c’est de sentir la vérité sans passer par les preuves. Même les mathématiques reposent sur des principes sentis puisqu’on ne peut, sous peine de tomber dans une régression infinie, tout démontrer et tout définir.
C’est la raison pour laquelle la vérité appartient à la croyance religieuse. La foi dit Pascal dans les Pensées, c’est « Dieu sensible au cœur » (fragment 424, Lafuma). En effet, refuser que la religion puisse être vraie sous prétexte qu’il n’est pas possible de la démontrer, conduirait tout aussi bien à refuser les mathématiques puisque toutes leurs propositions ne peuvent être démontrées. La raison humaine est donc limitée, ce pourquoi Pascal a pu écrire dans les Pensées que « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point» (fragment 423, Lafuma). Aussi, toutes les vérités n’ont pas besoin d’être prouvées.

Toutefois, de la même façon qu’une amitié qui semblait vraie se révèle fausse par la trahison de l’ami, la foi ne suffit pas à affirmer qu’une religion est vraie puisqu’elles ne peuvent être toutes vraies. Aussi, s’il n’est pas illégitime d’admettre des vérités qui ne sont pas prouvées, il faut préciser qu’il n’est pas possible de les découvrir. Dès lors, n’y a-t-il pas un sens à considérer que toute vérité doit être prouvée ?


La raison ne peut se passer de point de départ et les sciences reposent au moins sur l’idée que l’expérience dans la mesure où elle est régulière et accessible à tous – ce qui l’oppose aux prétendues expériences religieuses – doit servir à prouver. Dès lors, les points de départ de la science, comme ils ne peuvent être eux-mêmes prouvés, sont des hypothèses. Ce ne sont donc pas des vérités. Autrement dit, toutes les vérités doivent être prouvées et ce qui n’est pas prouvée n’est pas une vérité. C’est en ce sens que les expressions vraie amitié ou vrai amour signifie simplement véridiques, c’est-à-dire que le sujet qui affirme aimer le dit conformément à son sentiment. Elles ne signifient pas que la personne aimée a bien les caractéristiques qu’on lui prête.
C’est que l’idée que l’expérience est la condition de toute preuve ne peut pas être prouvée sans cercle vicieux (ou diallèle). Dès lors, les preuves en tant qu’elles reposent directement ou indirectement sur l’expérience ne sont vraies qu’hypothétiquement. C’est pourquoi aucune proposition scientifique n’est définitivement prouvée, parce qu’elle n’est pas absolument prouvable. Cela ne veut pas dire qu’on peut la contester avec une simple croyance. Il faut de solides expériences et une théorie qui rende compte de toutes les expériences faites jusque-là. Voilà d’où vient l’impression de solidité des sciences. La vérité dans les sciences se situe dans la cohésion des preuves là où l’erreur reste dans la solitude de l’errance.


Disons en guise de conclusion qu’il n’est pas possible de soutenir que toutes les vérités doivent être prouvées si on entend par là comme ordinairement que l’expérience permette d’en garantir la vérité à jamais. C’est qu’il n’est pas possible de se passer de points de départ pour prouver. Soit avec Pascal on admet qu’ils sont vrais sans preuves grâce au cœur, ce qui n’est qu’une affirmation gratuite, soit on considère plutôt que les points de départ ne sont qu’hypothétiques. Dès lors, toutes les vérités doivent être prouvées en tant qu’elles ne sont que provisoires et ceci afin de ne jamais laisser croire que la vérité a été atteinte à jamais.


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