dimanche 3 novembre 2019

Corrigé d'une explication de Durkheim sur la nature de l'acte moral

Sujet
Expliquer le texte suivant :
Si nous violons [les règles morales], nous nous exposons à des conséquences fâcheuses ; nous risquons d’être blâmés, mis à l’index, frappés même matériellement dans notre personne ou dans nos biens. Mais c’est un fait constant, incontestable, qu’un acte n’est pas moral, alors même qu’il serait matériellement conforme à la règle, si c’est la perspective de ces conséquences fâcheuses qui l’a déterminé. Ici, pour que l’acte soit tout ce qu’il doit être, pour que la règle soit obéie comme elle doit être obéie, il faut que nous y déférions (1), non pour éviter tel résultat désagréable, tel châtiment matériel ou moral, ou pour obtenir telle récompense ; il faut que nous y déférions (1) tout simplement parce que nous devons y déférer (1), abstraction faite des conséquences que notre conduite peut avoir pour nous. Il faut obéir au précepte moral par respect pour lui, et pour cette seule raison. Toute l’efficacité qu’il a sur les volontés, il la tient donc exclusivement de l’autorité dont il est revêtu. Ici, l’autorité est seule agissante, et un autre élément ne peut s’y mêler sans que la conduite, dans la même mesure, perde son caractère moral. Nous disons que toute règle commande, mais la règle morale est tout entière commandement et n’est pas autre chose. Voilà pourquoi elle nous parle de si haut, pourquoi, quand elle a parlé, toutes les autres considérations doivent se taire.
DurkheimL’éducation morale (1902)

(1) Déférer à : se conformer respectueusement à.

La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

Corrigé
[L’éducation morale est un cours professé par Durkheim à la Sorbonne en 1902/1093. Il a été publié à titre posthume en 1925. Le texte est extrait de la 2èmeleçon « Le premier élément de la moralité : l’esprit de discipline » de la première partie « Les éléments de la moralité ».]

Qu’est-ce qui nous oblige à respecter les règles morales ? S’agit-il des conséquences, heureuses ou malheureuses ou bien ce respect n’est-il pas dû aux règles morales elles-mêmes ? Autrement dit, la morale ne se distingue-t-elle pas du droit pénal ou de tout autre engagement à obéir à des règles par le type de relation que le sujet entretient avec les règles morales ?
Tel est le problème dont il est question dans cet extrait de L’éducation morale d’Émile Durkheim, ouvrage datant de 1902.
Le sociologue français veut montrer que la règle morale exige un respect absolu qui constitue la moralité de l’acte.
Il analyse ainsi la différence entre les actes moraux et les actes légaux, puis montre en quoi l’acte moral n’a pas de fin extérieure à la règle avant de montrer que l’acte moral repose sur l’autorité de la règle morale elle-même.


Durkheim commence par présenter une supposition, à savoir que des hommes transgressent des règles morales. On doit comprendre au minimum qu’il s’agit là de règles qui ont un caractère obligatoire, c’est-à-dire qui, à la fois prescrivent ce qu’il faut faire ou ne pas faire et qui peuvent être transgressées. Elles se distinguent ainsi des lois de la nature que découvrent les savants qui ont un caractère de nécessité qui font qu’il est possible de les utiliser, mais jamais de les transgresser. L’interdiction de voler, au sens de prendre ce qui appartient à autrui, est une règle morale. Par contre, il serait absurde d’interdire de voler comme un oiseau. Une règle morale ne prescrit ou n’interdit que ce qui est possible. L’auteur énumère une liste de punition, soit simplement mentales comme le blâme ou la mise à l’index ou exclusions, voire des punitions qui touchent physiquement à notre personne ou à nos biens.
Il oppose à cela que l’acte n’est pas moral lorsqu’il vise à éviter les conséquences fâcheuses, même s’il est conforme à la règle morale. La conformité à la règle morale désigne le fait que l’acte ne transgresse pas la règle. Par exemple, soit une règle morale dans son énoncé biblique, « Tu ne tueras point » (Bible, Ancien testament, Exode, 20 : 13 ; Deutéronome, 5 : 17). Le simple fait de ne pas tuer, c’est agir conformément à la règle. Mais, les raisons pour lesquels je ne tue pas peuvent être très diverses. Selon Durkheim, c’est un fait que l’acte conforme ne suffit pas à qualifier l’acte de moral. Il faut comprendre que le jugement qualifiant ou non de moral un acte ne se contente jamais de la seule conformité de l’acte. Ce n’est donc pas une thèse que Durkheim présente sur ce qu’est l’acte morale. C’est une thèse sur la réalité de la morale chez les hommes. Comment comprendre alors qu’il soit possible d’agir conformément aux règles morales sans qu’il y ait un acte moral ? S’agit-il de confondre alors comme actes immoraux des actes contraires aux règles morales et d’autres qui leur sont conformes ?
Il faut donc distinguer trois types d’actes : les actes moraux, les actes seulement conformes à la règle et ceux qui ne le sont pas qu’on qualifiera seuls d’actes immoraux. On distinguera surtout les actes moraux des actes légaux. En effet, les actes immoraux se manifestent clairement, quelle que soit leur intention : ils sont contraires à la règle ou en sont la transgression. Par contre, les actes légaux ne sont pas réalisés pour une fin morale. Ils peuvent être réalisés pour une fin légale ou par intérêt. Reprenons notre exemple de la règle qui interdit de tuer. Je puis ne pas tuer parce que c’est moral. Mais je peux le faire par peur des conséquences si je suis pris, voire pour ne pas vivre dans la crainte de ne pas être pris comme Épicure le stipule (cf. Maximes Capitales, 38). Je puis le faire aussi par intérêt. Dans notre texte, Durkheim n’envisage dans un premier temps que l’aspect punitif dans un premier temps, car il permet de distinguer la morale comme activité et la morale envisagée dans son aspect seulement social.

Cependant, si l’acte moral et l’acte légal sont identiques, comment est-il possible de les distinguer ? N’est-il pas finalement indifférent qu’un acte soit commis pour telle ou telle raison pour le qualifier de moral ?


Dans l’analyse de la règle morale, Durkheim écarte toute finalité externe. Il ne s’agit donc pas d’obéir à la règle pour autre chose qu’elle-même. Il ne s’agit pas d’utilité. Autrement dit, le fait moral s’oppose à toute considération extérieure à la morale. Le règle n’est donc pas un moyen pour obtenir autre chose. C’est donc dans la façon d’obéir à la règle morale que s’effectue la moralité de l’acte. Comme il y a plusieurs façon d’obéir à une règle, dès lors il y a bien une différence dans les modalités même de l’action. Le caractère de l’action morale, c’est de déférer à la règle, soit de la respecter en la considérant comme supérieure à soi. Mais un tel respect n’a rien d’extérieur à la règle elle-même. C’est la règle qui est la fin de l’obéissance. Telle est la modalité de l’obéissance qui fait la moralité de l’acte. Qu’en est-il alors des fins extérieures ?
Durkheim écarte la déférence ou respect pour des raisons extérieures à la règle morale comme ce qui trouble ou élimine le caractère moral de l’acte. Il cite d’abord les résultats désagréables, à savoir le châtiment matériel ou moral. Le châtiment moral pourrait se distinguer du châtiment matériel et définir une action morale par opposition à l’action légale. C’est ce que Durkheim refuse. Quel que soit le châtiment, s’il est ce que le sujet veut éviter, il fait alors disparaît la moralité de l’action. L’identité de la légalité réside justement dans le fait de craindre le châtiment pour agir. Mais les conséquences fâcheuses peuvent être aussi ce qui est nuisible au sujet. Mais il en va de même de la récompense, c’est-à-dire de la satisfaction certains de nos désirs. Si par exemple je ne tue pas les autres pour que la vie en société soit possible et que je bénéficie de ses avantages, alors mon action n’est pas morale. Suivre les règles morales pour son intérêt ou pour son bonheur revient finalement au même. Qu’est-ce donc le sujet de l’action doit donc viser ?
C’est que le précepte moral exige qu’on lui obéisse pour lui-même et à l’exclusion de tout autre raison. Ce qui constitue donc la morale d’une action, c’est cette modalité de l’obéissance à la règle qui fait que nous lui obéissons, non pour autre chose, mais pour la règle elle-même. C’est la raison pour laquelle l’acte moral implique que le sujet de l’action ne se préoccupe en aucune façon de lui-même. On peut donc agir moralement à son propre détriment, voire en se sacrifiant. Il ne s’agit pas non plus d’une volonté de se faire mal, voire une sorte de suicide qui ne sont en rien des actes moraux. Et cette règle à laquelle on obéit, c’est donc pour la seule raison que nous devons y obéir. Autrement dit, c’est par devoir que nous devons agir pour agir moralement.

Toutefois, comment comprendre que nous respections la règle morale pour elle-même ? Autrement dit, qu’est-ce qui fait qu’on obéit moralement aux règles morales ?


Durkheim en tire pour conséquence que l’efficacité que possède le précepte moral sur les volontés vient de l’autorité qui est la sienne. Il faut comprendre par autorité, la supériorité qu’on reconnaît à un individu ou à une instance. On voit d’ailleurs par-là comment la religion peut jouer un rôle dans la morale puisqu’elle propose des règles d’actions revêtues de l’autorité la plus haute, celle de la divinité. Cette autorité de la règle morale se distingue pourtant de l’autorité religieuse en tant que c’est le précepte moral lui-même qui concentre en lui l’autorité. Autrement dit, pour qu’une obéissance morale aux règles morales soit possible, il faut que le sujet les considère comme supérieure à lui et comme plus important que lui.
Durkheim précise que c’est l’autorité qui agit sur le sujet et qui fait tout entière la moralité de l’action. Dans l’hypothèse où l’autorité serait accompagnée d’un autre élément, peur des conséquences fâcheuses ou espoir de récompenses, le caractère moral disparaîtrait. Dès lors, l’autorité de la règle morale ne suffit pas. Il faut également qu’elle soit le seul élément qui justifie l’action. Tout autre motif corrompt la pureté morale de l’action, c’est-à-dire que l’action n’est plus morale. Autrement dit, qui respecterait l’autorité de la règle morale d’une part mais agirait aussi pour un autre motif, peur de certaines conséquences ou, au contraire, espoir d’autres conséquences, n’agirait pas de façon morale.
Il distingue alors la règle morale en ce qu’elle est un commandement comme toutes les règles. Mais la règle morale n’est qu’un commandement. Elle n’est pas autre chose. C’est donc dire que les autres règles sont des commandements qui sont aussi autre chose. On le comprend dans la mesure où comme elles ont d’autres motifs, elles sont donc des moyens pour réaliser une autre fin qu’elle-même. Pour qu’elle puisse donc être obéie, tout autre considération que celle du commandement doit disparaître pour qu’elle apparaisse dans sa pureté. L’autorité de la règle surplombant le sujet, lorsqu’elle se manifeste, elle conduit à faire disparaître toutes les autres considérations. Durkheim voit donc dans l’autorité de la règle morale la source de l’acte moral. Cela ne veut pas dire qu’il ne revient rien au sujet qui agit. Il doit justement se soumettre à cette autorité pour qu’elle soit possible. C’est pour cela que la règle morale est commandement et non expression d’une nécessité.


En somme, le problème dont il est question dans cet extrait de L’éducation morale du Durkheim daté de 1902, est celui de savoir en quoi consiste l’acte moral, autrement dit qu’est-ce qui en fait la spécificité. Il montre d’abord que l’acte moral se distingue de l’acte légal en tant qu’il est une façon d’obéir qui repose sur le pur respect de la règle morale elle-même. C’est pour cela que d’autres considérations ne peuvent que détruire la moralité de l’acte. Elle repose finalement sur la pure autorité de la règle morale elle-même, c’est-à-dire sur la conscience de sa supériorité que le sujet décide de mettre en œuvre pour elle-même et non pour autre chose.


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