« Et pourtant elle tourne » aurait chuchoté Galilée (1564-1642)
après avoir juré sur la Bible qu’il
abjurait sa thèse d’une Terre en mouvement le 16 juin 1633. Cette légende
montre l’opposition de l’homme de science qui sait et du croyant qui s’en tient
à la croyance. Mais le premier semble tout autant croire. Faut-il croire pour
savoir ?
On oppose souvent croire et savoir, ce
qui conduit à considérer absurde voire contradictoire qu’on ait à croire pour
savoir. En effet, ce serait donner son assentiment sans preuves et ensuite
chercher des preuves pour donner son assentiment, ce qui est absurde.
Et pourtant, comment si on ne croit
rien, si on ne croit en rien, comment donc arriver à trouver puisqu’on passera
son temps à douter ?
Dès lors, on peut se demander si c’est une
nécessité de croire pour savoir ou bien un devoir moral ou bien si, au
contraire, croire serait un obstacle pour savoir.
Croire est nécessaire pour savoir dans
la mesure où il faut bien des points de départ. En effet, s’il fallait tout
prouver, on ne pourrait jamais s’arrêter et dès lors on ne prouverait rien.
Lorsqu’un savant fait une expérience, il s’appuie sur certaines croyances. Par
exemple, pour prouver que la Terre est ronde, Aristote, dans le Traité du ciel (II, ch.14), utilise la
forme réfléchie de la Terre qu’on voit courbe lors des éclipses de Lune. Il lui
faut croire que la Terre, la Lune et le Soleil existent et se déplacent. On
comprend alors que Pascal, dans les Pensées
(n°110 Lafuma, posthume 1670), ait pu soutenir que notre connaissance ne vient
pas seulement de la raison mais aussi du cœur. C’est le cœur ou le sentiment qui
permet, selon lui, de connaître les premiers principes, c’est-à-dire les
vérités auxquelles il faut croire pour pouvoir ensuite prouver grâce à la
raison. Ne risque-t-on pas alors d’orienter les preuves en fonction de nos croyances ?
En effet, lorsqu’on persuade, on use de
croyances comme le montrent les publicitaires et les politiciens. Aussi faut-il
préciser que croire est nécessaire pour savoir et non un obstacle à la
condition de s’en tenir au petit nombre de premiers principes connus par le
cœur selon Pascal. Autrement dit, il ne faut pas tout croire ou croire en
n’importe quoi mais croire uniquement aux premiers principes. Ainsi, on doit
croire que la Terre ou la Lune existent, bref, que « nous ne rêvons pas » comme le soutient Pascal dans les Pensées, (n°110), mais quant à sa forme
par exemple, il faut rechercher les preuves. C’est donc en essayant de prouver
le plus possible qu’on évite de croire en ce qui ferait obstacle au savoir et
qu’on ne croit que ce qu’il faut pour savoir.
Cependant, s’il faut chercher à prouver
le plus possible, c’est plutôt à la condition de ne pas croire. Et on peut
commencer par des hypothèses. Dès lors, s’il faut croire pour savoir, n’est-ce
pas plutôt au sens d’un devoir moral ?
Croire n’est certes pas nécessaire, mais
c’est un devoir moral. En effet, croire, c’est essentiellement avoir confiance.
Et pour savoir, il faut d’abord croire en la vérité, autrement dit refuser le
scepticisme. C’est qu’il est toujours possible de ne pas croire. Pour cela, il
faut douter, y compris des premiers principes. Telle est la position des
sceptiques ou pyrrhoniens qui usent de la raison en ce sens. Or, cette position
conduit aussi à l’impossibilité de savoir puisque dès qu’on affirme quelque
chose, il faudrait en douter. Toute preuve devient impossible. Croire donc en
la possibilité de connaître la vérité apparaît donc comme un devoir moral pour
le savant, une sorte de décision éthique qui rend possible le savoir. Nietzsche
avait mis en lumière cette croyance fondamentale en la vérité comme origine de
la science dans le Gai Savoir (1886, livre
V, n°344 De quelle manière, nous aussi,
nous sommes encore pieux). Or, ne peut-on pas se contenter de simples
hypothèses ?
C’est que pour savoir, non seulement il
faut croire en la vérité, mais il faut croire en la raison elle-même. Diderot
soutient à juste titre dans son article « Croire » de l’Encyclopédie (IV, p.502b, 1751) qu’il
faut faire un bon usage de sa raison pour que croire soit légitime. Et il
précise qu’il faut alors accepter les vérités prouvées ou les vérités
évidentes. Ces dernières sont les premiers principes. Or, il est clair qu’en
faisant du non usage de la raison un péché, le philosophe parodie la conception
chrétienne qui veut au contraire que la foi soit supérieure à la raison. Il
montre, malgré qu’il en ait, qu’il faut au moins avoir foi en la raison.
Néanmoins, croire impliquant de faire
confiance s’oppose au savoir qui implique bien plutôt de se méfier de ce qu’on
croit vrai et d’abord d’avoir atteint la vérité. Dès lors, il semble nécessaire
de considérer que croire est un obstacle pour savoir. Comment sans tomber dans
le scepticisme ?
Lorsqu’il s’agit de savoir, les preuves
suffisent à confondre la mauvaise foi de sorte que le savant n’a pas besoin de
la confiance. Au contraire, la méfiance lui permet de chercher dans les preuves
de quoi soutenir ses hypothèses. On peut dire avec Alain dans un de ses Propos d’un normand daté du 15 janvier
1908 que « Penser n’est pas croire ».
C’est que tout soupçon de croyance conduit à transformer la science en une
sorte de religion ou à vouloir faire de la science une sorte de servante de la
religion. Aussi donne-t-il l’image d’un physicien faisant des recherches sur
les gaz parfaits. Expérimentant, inventant une théorie qu’il teste, il la
considère comme vraie pour cette raison. Et il n’y a nul scepticisme dans cette
attitude. Si le savant accepte les objections et n’est pas attaché à ses idées,
s’il est donc prêt à en changer alors que croire implique d’être dominé par des
passions, le savant ne doute pas. Seules des objections fondées peuvent
l’amener à changer de théories. Mais ne lui faut-il pas avoir foi en sa
démarche ?
Loin d’être rendu possible par la foi, la
recherche de connaissance exige de s’en passer. Il n’est pas nécessaire de
croire en la vérité pour chercher dans quelle mesure une hypothèse est validée
par des expériences sérieuses. Mieux, il ne faut pas croire avoir atteint la
vérité pour être prêt justement à accepter de se corriger. Savoir, c’est donc
corriger des erreurs. Et c’est précisément parce qu’on cherche à toujours se
corriger qu’il ne faut pas non plus croire en la raison. La morale de la
recherche, c’est justement de ne pas croire. Même la raison doit être
critiquée.
Disons donc pour finir que le problème
était de savoir si croire est une nécessité ou un devoir moral pour savoir ou
bien si c’est toujours un obstacle à surmonter pour savoir. Il est vrai qu’il faut
des points de départ pour savoir, mais il n’est pas nécessaire d’y croire. Il
n’est nul besoin non plus d’avoir foi en la vérité ou en la raison. C’est que
savoir, c’est moins affirmer la vérité que rectifier ses erreurs en se méfiant
toujours de ce qu’on croit être vrai.
Ainsi savoir a-t-il moins pour fin la
vérité que des vérités toujours provisoires ?
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