1) Sujet.
Résumez le texte suivant en 120 mots (plus ou moins
10%). Vous indiquerez les sous totaux de 20 en 20 (20, 40, …) par un trait
vertical et par le chiffre correspondant dans la marge. Vous indiquerez
obligatoirement votre total exact à la fin de votre résumé.
Un sage, un lion, une hydre aux cent
têtes, cousus ensemble dans le même sac, voilà donc l’homme, à ce que Platon
dit (1). L’hydre n’a jamais fini de manger et de boire ; le plus grand des
sages se met à table trois fois par jour ; et si d’autres ne lui
apportaient la nourriture, aussitôt il devrait la chercher, oubliant tout le
reste, à la façon du rat d’égout. D’où le sage désire amasser, et craint de
manquer. Mettons toutes les pauvretés et tous les désirs au ventre ; c’est
la partie craintive. Tête sur ventre, cela fait un sage humilié. Cela ne fait
point encore un homme, il s’en faut bien. Le lion, en cette sorte de fable,
représente la colère, ou l’irascible, comme on disait dans l’ancien temps. Je
le mets au thorax, sous la cuirasse, où bat le muscle creux. C’est la partie
combattante, courroucée et courageuse, les deux ensemble. Et le langage commun
me rappelle qu’autour du cœur vivent les passions. « Rodrigue, as-tu du
cœur ? » (2) Cela ne demande point si Rodrigue est faible, affamé,
craintif.
Cette remarque conduit assez loin. L’homme
n’est pas tant redoutable par le désir que par la colère. Le désir compose ;
le désir échange. Mais on ne peut composer avec un homme offensé. Il me semble
que c’est principalement l’offense qui fait les passions. Le refus d’un
plaisir, on s’en arrangerait. Les vices sont pacifiques ; peut-être même
sont-ils poltrons essentiellement. Mais qui ne voit qu’un refus de plaisir peut
être une offense ? L’amoureux peut être déçu ; ce n’est qu’une faim ;
ce n’est que tristesse de ventre. Mais s’il est ridicule, le drame se noue.
Dignité et colère ensemble. Ce mouvement dépend plus de la tête que du ventre.
C’est du courage souvent que vient cette idée qu’un homme en vaut un autre ;
mais du jugement aussi. Le sage et le lion seraient donc d’accord à ne point
supporter le mépris. Dans le fait un homme se passe très bien de beaucoup de
choses. Mais il y a une manière méprisante de refuser partage ; c’est par
là que les choses se gâtent.
Dans les passions de l’amour, il arrive
souvent que la coquette refuse ce qu’elle est arrivée, quelquefois non sans
peine, à faire désirer. Offrez la croix ou l’académie à un homme qui ne
demandait rien, arrivez à les lui faire désirer, et aussitôt retirez l’appât.
Telle est quelquefois la coquetterie d’un ministre, et toujours la coquetterie
de Célimène (3). C’est humilier deux fois. C’est se moquer. Chose digne de
remarque, moins ce qui était promis est précieux, agréable et beau, plus
peut-être l’on s’indigne ; c’est qu’on l’a désiré. Alors le lion rugit.
C’est une idée assez commune que
révolutions et guerres sont filles de pauvreté. Mais ce n’est qu’une
demi-vérité. Ce ne sont point les pauvres qui sont redoutables, ce sont les
humiliés et les offensés. L’aiguillon du besoin ne fait qu’un animal peureux ;
pensée de vol, non pensée de vengeance. Et la pensée s’occupe toute à chercher
un repas après l’autre. Tête et ventre. Les passions veulent du loisir, et un
sang riche. On croit que la faim conduirait à la colère ; mais c’est là
une pensée d’homme bien nourri. Dans le fait une extrême faim tarit d’abord les
mouvements de luxe, et premièrement la colère. J’en dirais autant du besoin de
dormir, plus impérieux peut-être que la faim. Ainsi la colère ne serait pas
naturellement au service des désirs, comme on veut d’abord croire.
Pourquoi je conduis mes pensées par là ?
C’est que Platon dit quelque chose d’étonnant au sujet de la colère. Il dit qu’elle
est toujours l’alliée de la tête ; et toujours contre le ventre. Je
repoussais d’abord cette idée, mais j’aperçois maintenant qu’il y a de l’indignation
en beaucoup de colères, et enfin que c’est l’idée d’une injustice supposée, à
tort ou à raison, qui les allume toutes. Que l’homme ait besoin de beaucoup de
choses, et ne règne sur ses désirs qu’en leur cédant un peu, cela n’explique
pas encore les passions. C’est que cette condition, commune à tous, n’humilie
personne. Le travail n’humilie point. Bien mieux on ne trouverait pas un homme
sur mille qui s’arrangeât de ne rien faire, et d’être gorgé comme un
nourrisson. Gagner sa vie, cela ne fait point peine, et même fait plaisir. Ce
qui irrite c’est l’idée que ce salaire bien gagné ne vienne pas par le travail
seul comme un lièvre pris à la chasse, mais dépende encore de la volonté et du
jugement de quelqu’un. L’idée d’un droit est dans toute colère, et Platon n’a
pas parlé au hasard.
Ce qu’il importe ici de comprendre, c’est
que la colère est encore un principe d’ordre, dont on voit tout de suite qu’il
enferme une contradiction. L’erreur est de compter sur la colère et de prendre
pour bonnes ses raisons sans craindre assez les moyens qui lui sont ordinaires.
Et voilà pourquoi de tous les projets de paix, on voit revenir la guerre dont
le principe est exactement dans une colère soutenue par l’apparence d’un droit.
Alain, Propos sur des philosophes (posthume,
1961), LXXXII Un sage, un lion, une hydre aux cent têtes, Propos du 15 février
1926
Notes
(1) Platon, La république, livre IX.
(2) C’est ce que
demande Don Diègue à son fils Rodrigue à la scène 5 de l’acte I du Cid (1637) de Pierre Corneille
(1606-1684).
(3) Personnage
du Misanthrope (1666) de Molière
(1622-1673).
2) Analyse.
Alain expose une image de Platon
relative à l’âme qui intéresse le thème des passions. C’est l’image d’une
tripartition que représentent un sage, un lion et une hydre. L’hydre représente
les désirs, et Alain émet l’hypothèse qu’un homme soit composé seulement du
sage et des désirs. Il en déduit qu’il serait toujours craintif. Dès lors, il
peut en tirer comme conséquence que la passion a le cœur ou la colère comme
condition de possibilité. Le cœur est nécessaire aussi pour faire un homme. Il
justifie donc la tripartition de Platon.
Alain en déduit que ce n’est pas le
désir qui fait l’homme dangereux pour autrui, c’est le cœur ou principe de la
colère. Si l’on peut s’arranger de la non satisfaction d’un désir, la façon
dont il est refusé fait l’offense, donc la colère.
Le philosophe illustre ce dernier point
par l’exemple de la coquette qu’il généralise aux hommes de pouvoir. Ce sont
les refus des désirs qu’elle a suscités qui irritent.
Aussi Alain rectifie une thèse selon
laquelle la pauvreté est source des conflits. Au contraire, il faut une
certaine richesse pour se révolter. Il faut surtout le sentiment d’une dignité
froissée, bref, encore une fois la colère. Il en déduit qu’elle ne sert pas les
désirs.
Il énonce ensuite la raison principale
de ce propos. Longtemps, il a refusé une des thèses de Platon selon laquelle le
cœur ou la colère est toujours l’allié(e) du sage, c’est-à-dire de la raison.
Il a fini par la comprendre. La colère vient du sentiment de l’injustice. Dès
lors, elle peut être infondée et provoquer alors les pires conflits. Il
l’illustre par la question du travail. En lui-même, il ne provoque nulle
révolte. De même la pauvreté. Par contre le sentiment d’être injustement payé
fait la colère de l’ouvrier.
Il finit par dénoncer une erreur qui consiste
à voir dans la colère, c’est-à-dire dans le sentiment de la dignité un principe
de paix. Au contraire, elle ne peut que conduire à la guerre.
3) Proposition
de résumé.
Platon compose l’homme d’un sage, d’un
lion et d’une hydre. L’hydre ou les désirs et [20] le sage ne feraient pas
l’homme mais un peureux. Le lion ou la colère constitue les passions.
C’est [40] la colère qui fait l’homme
dangereux. Une jouissance refusée est acceptée, le mépris s’en mêlant la colère
veut [60] réparation. Les désirs frustrés appellent la vengeance.
La faim seule sans offense ne fait pas
les conflits.
J’ai enfin [80] compris Platon qui soutenait
justement que la colère suit toujours la raison. Car c’est l’idée d’injustice
qui [100] suscite les révoltes. On se trompe en s’appuyant sur la colère pour
faire la paix : elle provoque la guerre.
120 mots
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