vendredi 4 octobre 2019

Corrigé d'une dissertation : Faut-il préférer la connaissance à la croyance ?


Chez le médecin, on espère qu’il sache de quoi on souffre et non qu’il y croit. Faut-il alors préférer la connaissance à la croyance ?
Il est vrai que la connaissance s’appuyant sur des preuves paraît préférable, c’est-à-dire d’une valeur objectivement supérieure à la croyance. Car, cette dernière consiste à tenir pour vrai(e) une proposition ou un fait sans preuves, voire en les refusant comme dans la foi. Cela paraît donc une obligation de préférer la connaissance à la croyance, voire une nécessité lorsqu’il s’agit d’action.
Cependant, il n’en reste pas moins vrai qu’il n’est pas toujours possible de savoir et qu’il est également obligatoire de croire certaines choses pour savoir. Cela paraît même nécessaire dans la mesure où sinon ne resterait qu’un doute stérile. Comment alors préférer l’une à l’autre ?
Dès lors, est-ce une nécessité ou une obligation de préférer la connaissance à la croyance ou bien ne faut-il préférer ni l’une ni l’autre, voire faut-il préférer plutôt la croyance à la connaissance ?
N’est-ce pas un devoir moral et non une nécessité de préférer la connaissance à la croyance ? N’est-il pas impossible de préférer la connaissance à la croyance lorsqu’il s’agit vraiment de connaître ? Connaissance et croyance ne sont-elles pas toutes deux nécessaires, ne doit-on pas ne pas choisir ?


Il n’est pas nécessaire de préférer la connaissance à la croyance dans la mesure où on peut vivre avec des croyances. Descartes, dans le Discours de la méthode, ne soutenait-il pas que lorsqu’il faut agir dans l’urgence, il faut traiter les opinions qu’on sait incertaines comme si elles étaient vraies ? Au moyen âge, c’est la foi qui prime et la connaissance lui est soumise. D’où l’idée que la philosophie devait être la servante de la théologie. Les peuples primitifs développent peu de connaissances. Ainsi, la plupart des Aborigènes d’Australie consacrent un temps important de leur vie sociale à des cérémonies religieuses. Or, l’homme n’est pas destiné seulement à vivre et même la foi religieuse montre un certain souci de la vérité.
Aussi est-il obligatoire de préférer la connaissance à la croyance s’il s’agit de rechercher la vérité. C’est qu’en effet, c’est par un acte de liberté qu’on se décide pour la vérité. Il en va ainsi lorsque Descartes présente ses réflexions philosophiques dans le Discours de la méthode. Il décide de traiter le douteux comme faux afin de savoir s’il y a quelque chose de vrai. Ce doute méthodique rompt avec la simple croyance. C’est que la croyance, comme Alain le soutient, lorsqu’il déclare : « Penser c’est dire non » dans les Propos sur les pouvoirs (propos du 19 janvier 1924) est un asservissement là où la connaissance libère. Elle nous soumet aux apparences, donc nous empêche de connaître la vérité. Il est donc nécessaire de préférer la connaissance comme condition de la liberté. La croyance en outre nous soumet aux autres. Il est donc surtout obligatoire de préférer la connaissance comme condition pour pouvoir remplir toutes ses autres obligations.

Toutefois, s’il paraît obligatoire de préférer la connaissance à la croyance, il est impossible de renoncer à la croyance puisque cela reviendrait à douter constamment sans jamais réussir à connaître quoi que ce soit. Quelle croyance est nécessaire pour la connaissance ? N’est-il pas impossible alors de préférer la connaissance à la croyance ?


Il y a une bien une croyance absolument nécessaire : la croyance en la nécessité de la vérité comme le soutient Nietzsche dans Le Gai Savoir. C’est cette croyance et elle seule qui rend la science possible, plus précisément qui rend possible l’instauration de la discipline de la science. Elle consiste justement à préférer la connaissance à la croyance. Elle implique donc de rompre avec les croyances, à ne les accepter que comme des hypothèses ou des points de vue expérimentaux. C’est ainsi que le conflit entre la religion et la science sur certaines croyances comme celles relatives à la place de la Terre dans le système solaire opposait en réalité deux sortes de foi.
C’est également cette croyance en la nécessité de la vérité qui rend la société possible. En effet, si dans toutes les sociétés, on trouve des croyances, il y a aussi la croyance en la nécessité de la vérité qui fonde l’accord au moins partiel des membres de la société. L’intolérance elle-même repose sur cette croyance particulière. Elle pose donc l’obligation de préférer cette croyance à toute connaissance dans la mesure où elle rend possible non seulement la connaissance, mais le fait même des croyances.

Cependant, s’il est vrai qu’il n’est pas possible de préférer la connaissance à la croyance car celle en la nécessité de la vérité est absolument indispensable à la connaissance et à la vie sociale, il n’est pas possible de toujours tout remettre en cause. Dès lors, ne doit-on pas penser qu’il n’est ni nécessaire ni obligatoire de préférer la connaissance à la croyance ?


En effet, des croyances sont toujours nécessaires pour chercher la vérité de sorte qu’il n’est pas possible de préférer la connaissance à la croyance. En effet, la recherche de la vérité concerne toujours un domaine, voire simplement une question singulière. Dès lors, s’il fallait tout examiner, jamais on ne pourrait avancer comme Tocqueville le soutient dans le tome II de De la démocratie en Amérique (1840). Par exemple, lorsque le moine Gregor Mendel (1822-1884) a fait ses expériences sur les pois qui lui ont permis de découvrir qu’il y a des caractères récessifs et dominants, il n’a pas douté des pois ou de la possibilité de produire des hybrides (cf. Mendel, Expériences sur les plantes hybrides, 1865). Il faut donc s’appuyer sur des croyances qui sont des connaissances pour d’autres, voire de pures croyances pour connaître. Mais pour l’action, ne faut-il pas préférer la connaissance à la croyance ?
Pour vivre en société, on ne peut pas constamment s’appuyer sur des connaissances, il faut des croyances auxquelles on adhère sans les discuter, sans quoi on ne peut rien faire ensemble. Or, la vie sociale exige l’action commune. Dès lors, il n’est ni nécessaire, ni obligatoire de préférer la connaissance à la croyance dans la mesure où celle-ci peut être fondamentale. Ainsi, il faut bien que les membres d’un pays comme la France adhèrent aux principes de la constitution sans les discuter pour qu’ils puissent ensuite chercher à connaître la réalité sociale pour éventuellement la transformer selon ces principes. Tocqueville soutenait à juste titre qu’on est alors esclave en se soumettant à des croyances, mais c’est la condition de l’exercice réel de la liberté.


Disons pour finir que le problème était de savoir si c’était une nécessité ou une obligation de préférer la connaissance à la croyance ou bien s’il ne fallait pas préférer ni l’une ni l’autre, voire s’il fallait préférer plutôt la croyance à la connaissance. S’il paraît obligatoire de préférer la connaissance qui libère à la croyance qui asservit parce que sa valeur est plus haute, il est toutefois impossible de se passer de la croyance en la nécessité de la vérité, voire de toutes ces croyances admises tacitement qui nous permettent de chercher à connaître et surtout de vivre avec les autres de sorte que la connaissance n’est pas en elle-même préférable à la croyance.

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