Chez le médecin, on espère qu’il sache de
quoi on souffre et non qu’il y croit. Faut-il alors préférer la connaissance à
la croyance ?
Il est vrai que la connaissance s’appuyant
sur des preuves paraît préférable, c’est-à-dire d’une valeur objectivement supérieure
à la croyance. Car, cette dernière consiste à tenir pour vrai(e) une
proposition ou un fait sans preuves, voire en les refusant comme dans la foi.
Cela paraît donc une obligation de préférer la connaissance à la croyance,
voire une nécessité lorsqu’il s’agit d’action.
Cependant, il n’en reste pas moins vrai qu’il
n’est pas toujours possible de savoir et qu’il est également obligatoire de
croire certaines choses pour savoir. Cela paraît même nécessaire dans la mesure
où sinon ne resterait qu’un doute stérile. Comment alors préférer l’une à
l’autre ?
Dès lors, est-ce une nécessité ou une
obligation de préférer la connaissance à la croyance ou bien ne faut-il
préférer ni l’une ni l’autre, voire faut-il préférer plutôt la croyance à la
connaissance ?
N’est-ce pas un devoir moral et non une nécessité
de préférer la connaissance à la croyance ? N’est-il pas impossible de
préférer la connaissance à la croyance lorsqu’il s’agit vraiment de
connaître ? Connaissance et croyance ne sont-elles pas toutes deux nécessaires,
ne doit-on pas ne pas choisir ?
Il n’est pas nécessaire de préférer la
connaissance à la croyance dans la mesure où on peut vivre avec des croyances.
Descartes, dans le Discours de la méthode,
ne soutenait-il pas que lorsqu’il faut agir dans l’urgence, il faut traiter les
opinions qu’on sait incertaines comme si elles étaient vraies ? Au moyen
âge, c’est la foi qui prime et la connaissance lui est soumise. D’où l’idée que
la philosophie devait être la servante de la théologie. Les peuples primitifs
développent peu de connaissances. Ainsi, la plupart des Aborigènes d’Australie
consacrent un temps important de leur vie sociale à des cérémonies religieuses.
Or, l’homme n’est pas destiné seulement à vivre et même la foi religieuse
montre un certain souci de la vérité.
Aussi est-il obligatoire de préférer la
connaissance à la croyance s’il s’agit de rechercher la vérité. C’est qu’en
effet, c’est par un acte de liberté qu’on se décide pour la vérité. Il en va
ainsi lorsque Descartes présente ses réflexions philosophiques dans le Discours de la méthode. Il décide de
traiter le douteux comme faux afin de savoir s’il y a quelque chose de vrai. Ce
doute méthodique rompt avec la simple croyance. C’est que la croyance, comme
Alain le soutient, lorsqu’il déclare : « Penser c’est dire non »
dans les Propos sur les pouvoirs
(propos du 19 janvier 1924) est un asservissement là où la connaissance libère.
Elle nous soumet aux apparences, donc nous empêche de connaître la vérité. Il
est donc nécessaire de préférer la connaissance comme condition de la liberté. La
croyance en outre nous soumet aux autres. Il est donc surtout obligatoire de
préférer la connaissance comme condition pour pouvoir remplir toutes ses autres
obligations.
Toutefois, s’il paraît obligatoire de
préférer la connaissance à la croyance, il est impossible de renoncer à la
croyance puisque cela reviendrait à douter constamment sans jamais réussir à
connaître quoi que ce soit. Quelle croyance est nécessaire pour la connaissance ?
N’est-il pas impossible alors de préférer la connaissance à la croyance ?
Il y a une bien une croyance absolument
nécessaire : la croyance en la nécessité de la vérité comme le soutient
Nietzsche dans Le Gai Savoir. C’est cette
croyance et elle seule qui rend la science possible, plus précisément qui rend
possible l’instauration de la discipline de la science. Elle consiste justement
à préférer la connaissance à la croyance. Elle implique donc de rompre avec les
croyances, à ne les accepter que comme des hypothèses ou des points de vue
expérimentaux. C’est ainsi que le conflit entre la religion et la science sur
certaines croyances comme celles relatives à la place de la Terre dans le
système solaire opposait en réalité deux sortes de foi.
C’est également cette croyance en la
nécessité de la vérité qui rend la société possible. En effet, si dans toutes
les sociétés, on trouve des croyances, il y a aussi la croyance en la nécessité
de la vérité qui fonde l’accord au moins partiel des membres de la société.
L’intolérance elle-même repose sur cette croyance particulière. Elle pose donc l’obligation
de préférer cette croyance à toute connaissance dans la mesure où elle rend
possible non seulement la connaissance, mais le fait même des croyances.
Cependant, s’il est vrai qu’il n’est pas
possible de préférer la connaissance à la croyance car celle en la nécessité de
la vérité est absolument indispensable à la connaissance et à la vie sociale,
il n’est pas possible de toujours tout remettre en cause. Dès lors, ne doit-on
pas penser qu’il n’est ni nécessaire ni obligatoire de préférer la connaissance
à la croyance ?
En effet, des croyances sont toujours
nécessaires pour chercher la vérité de sorte qu’il n’est pas possible de
préférer la connaissance à la croyance. En effet, la recherche de la vérité
concerne toujours un domaine, voire simplement une question singulière. Dès
lors, s’il fallait tout examiner, jamais on ne pourrait avancer comme
Tocqueville le soutient dans le tome II de De
la démocratie en Amérique (1840). Par exemple, lorsque le moine Gregor Mendel
(1822-1884) a fait ses expériences sur les pois qui lui ont permis de découvrir
qu’il y a des caractères récessifs et dominants, il n’a pas douté des pois ou
de la possibilité de produire des hybrides (cf. Mendel, Expériences sur les plantes hybrides, 1865). Il faut donc s’appuyer
sur des croyances qui sont des connaissances pour d’autres, voire de pures
croyances pour connaître. Mais pour l’action, ne faut-il pas préférer la
connaissance à la croyance ?
Pour vivre en société, on ne peut pas constamment
s’appuyer sur des connaissances, il faut des croyances auxquelles on adhère
sans les discuter, sans quoi on ne peut rien faire ensemble. Or, la vie sociale
exige l’action commune. Dès lors, il n’est ni nécessaire, ni obligatoire de
préférer la connaissance à la croyance dans la mesure où celle-ci peut être
fondamentale. Ainsi, il faut bien que les membres d’un pays comme la France
adhèrent aux principes de la constitution sans les discuter pour qu’ils
puissent ensuite chercher à connaître la réalité sociale pour éventuellement la
transformer selon ces principes. Tocqueville soutenait à juste titre qu’on est
alors esclave en se soumettant à des croyances, mais c’est la condition de
l’exercice réel de la liberté.
Disons pour finir que le problème était de
savoir si c’était une nécessité ou une obligation de préférer la connaissance à
la croyance ou bien s’il ne fallait pas préférer ni l’une ni l’autre, voire
s’il fallait préférer plutôt la croyance à la connaissance. S’il paraît obligatoire
de préférer la connaissance qui libère à la croyance qui asservit parce que sa
valeur est plus haute, il est toutefois impossible de se passer de la croyance
en la nécessité de la vérité, voire de toutes ces croyances admises tacitement
qui nous permettent de chercher à connaître et surtout de vivre avec les autres
de sorte que la connaissance n’est pas en elle-même préférable à la croyance.
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