lundi 28 octobre 2019

Corrigé d'une explication de texte de Russell sur les partisans du libre arbitre

Sujet
Expliquer le texte suivant :
Les gens qui croient au libre arbitre croient toujours en même temps, dans un autre compartiment de leur esprit, que les actes de volonté ont des causes. Ils pensent par exemple que la vertu peut être inculquée par une bonne éducation, et que l’instruction religieuse est très utile à la morale. Ils pensent que les sermons font du bien, et que les exhortations morales peuvent être salutaires. Or il est évident que, si les actes de volonté vertueux n’ont pas de causes, nous ne pouvons absolument rien faire pour les encourager. Dans la mesure où un homme croit qu’il est en son pouvoir, ou au pouvoir de quiconque, d’encourager un comportement souhaitable chez les autres, il croit à la motivation psychologique et non au libre arbitre. En pratique, tous nos rapports mutuels reposent sur l’hypothèse que les actions humaines résultent de circonstances antérieures. La propagande politique, le code pénal, la publication de livres préconisant telle ou telle ligne d’action, perdraient leur raison d’être s’ils n’avaient aucun effet sur ce que les gens font. Les partisans de la doctrine du libre arbitre ne se rendent pas compte de ses conséquences. Nous disons : « Pourquoi l’avez-vous fait ? » et nous nous attendons à voir mentionner en réponse des croyances et des désirs qui ont causé l’action. Si un homme ne sait pas lui-même pourquoi il a agi comme il l’a fait, nous chercherons peut-être une cause dans son inconscient, mais il ne nous viendra jamais à l’idée qu’il puisse n’y avoir aucune cause.
RussellScience et religion, 1935.

La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

Corrigé
Sommes-nous libres au sens où nous pouvons nous déterminer par nous-mêmes sans être déterminés par des causes internes ou externes ou bien sommes-nous soumis à un déterminisme, autrement dit, y a-t-il des motifs à nos actions qui en sont les causes ?
Tel est le problème général dont il est question dans cet extrait de Science et religion de Bertrand Russell paru en 1935.
Le philosophe veut montrer que ceux-là même qui croient au libre arbitre croient aussi à son absence et cette contradiction dévalue leur croyance.
Il expose d’abord la contradiction des partisans du libre arbitre. Puis il montre comment toute action sur les autres repose sur l’hypothèse de la motivation psychologique avant d’expliquer comment les partisans du libre arbitre sont inconséquents.


Russell commence par exposer la contradiction qui lui semble habiter les partisans du libre arbitre. En effet, ils affirment selon lui, outre le libre arbitre, que les actes de volonté ont des causes. En précisant par une image que les deux affirmations sont dans deux compartiments de l’esprit, Russell précise comment cette contradiction est possible. En effet, l’affirmation du libre arbitre est pour Russell celle d’une action volontaire sans cause, ce qui rend compte de l’opposition qu’il admet entre les deux. Dès lors, la contradiction devrait détruire l’une ou l’autre thèse de même que celui qui conçoit un carré ne peut en même temps le concevoir comme un cercle. L’image permet donc de comprendre que les mêmes personnes ont les deux idées contradictoires présentes en même temps et dans le même esprit mais de telle sorte que les deux thèses ne sont pas directement confrontées.
Il illustre la thèse opposée au libre arbitre par un exemple. Il est celui de la vertu ou pratique morale que les partisans du libre arbitre croient être un effet de l’éducation morale. Celle-ci est donc censée être la cause de celle-là. La deuxième partie de l’exemple indique le rôle de l’instruction religieuse dans l’acquisition de la morale. Celle-ci consiste dans le monde chrétien à invoquer un Dieu juste, tout puissant, omniscient, qui punit les fautes et récompense les bonnes actions. Cette idée aurait donc un effet sur notre conduite morale. Aussi Russell ajoute-t-il que les partisans du libre arbitre croient en l’efficacité des sermons, c’est-à-dire des discours religieux prononcés par le prêtre en vue d’inciter les fidèles à penser et agir selon la foi. Enfin, il généralise le rôle du discours en parlant des exhortations dont les partisans du libre arbitre pensent qu’ils peuvent être salutaires. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’ils ont des effets bénéfiques pour la conduite morale.
Russell interprète alors l’exemple qu’il a exposé. Ce que croient les partisans du libre arbitre, repose sur l’idée que la volonté a des causes. Russell l’exprime sous la forme d’une supposition négative, à savoir l’absence de causalité sur la volonté, impliquerait l’impossibilité d’encourager les conduites morales. En effet, comme le libre arbitre est une action sans cause, il serait impossible d’inciter quelqu’un d’autre à agir ou à le décourager d’agir selon ce qu’on désire qu’il fasse. Les partisans du libre arbitre, dans la mesure où ils cherchent à faire bien agir les autres, pensent que leur volonté à des causes, mais ils ne voient pas la contradiction.

Reste qu’on pourrait penser que l’encouragement concernerait non pas les causes de la volonté, mais les mobiles. De même qu’on juge responsable, donc doué de libre arbitre, celui qui commet un crime, ne doit-on pas distinguer entre mobiles et causes ou entre raisons et causes ?


Russell analyse alors la croyance de celui qui croit au pouvoir d’encourager un certain comportement qu’il juge souhaitable chez les autres comme reposant sur une autre croyance : celle en la motivation psychologique et exclut celle en le libre arbitre. Il réitère donc l’opposition entre la motivation psychologique et le libre arbitre. Il faut donc comprendre que la première implique qu’un motif produise un effet donné et non un autre alors que le libre arbitre implique qu’il soit possible de produire n’importe quel effet. La motivation psychologique fonde la croyance qu’on peut encourager un certain comportement en ce qu’elle vise à produire un effet sur le motif qui va entraîner le comportement. Dans l’hypothèse où on encouragerait en s’appuyant sur le libre arbitre, l’encouragement ne pourrait produire son effet, un autre serait possible et donc l’encouragement vain. Dès lors, il n’y a pas vraiment de différence entre cause et mobile. L’un et l’autre sont ce qui amène l’action comme son effet.
Russell généralise en considérant que c’est le cas de tous les rapports mutuels entre les hommes. Ceux-ci ont pour base une hypothèse contraire à celle du libre arbitre, c’est celle selon laquelle les actions humaines sont des effets de circonstances antérieures. Il faut comprendre que les circonstances antérieures aux actions humaines, qu’elles soient externes ou internes, en sont les causes. Pourquoi cette hypothèse fonde-t-elle les relations entre les humains ? C’est que lorsque nous essayons d’agir sur autrui pour qu’il se conduise d’une certaine façon, nous nous attendons à certaines réactions déterminées. Ainsi, si le sujet ne répond pas à notre attente, nous l’attribuerons à un autre motif. Donnons un exemple extérieur au texte. Si un jaloux s’abstient de brutaliser sa compagne, le motif pourra en être la crainte de la punition. Cette dernière est donc le mobile ou la cause de l’action. Dire qu’il a choisi son mobile reviendrait finalement à le nier.
Aussi Russell illustre-t-il son idée avec trois exemples qui reposent sur cette hypothèse. Le premier est la propagande politique. Elle consiste à promouvoir certaines idées en cherchant à produire des effets sur un ou plusieurs groupes sociaux. Pour cette promotion des idées, on s’appuie à la fois sur les opinions du groupe et sur ses sentiments. La combinaison des deux conduit alors à le faire adhérer à un parti ou mouvement politique afin de le faire voter ou agir dans la direction que vise ce parti ou ce mouvement. C’est bien l’hypothèse de la motivation psychologique qui explique qu’on cherche à agir sur les autres par la propagande politique, sans quoi on ne pourrait escompter sur les effets qu’on cherche à produire. Le deuxième exemple est le code pénal. Il comprend les peines prévues en cas de transgression des lois. Or, annoncer des peines, c’est chercher à dissuader les membres de la collectivité de transgresser les lois. Il faut donc admettre que l’annonce des peines produit un effet sur la motivation. Le code pénal repose lui aussi sur cette hypothèse. Il en va de même de la publication de livres en général dans la mesure où ils visent à persuader les lecteurs.

Si cette hypothèse de la motivation psychologique est bien impliquée dans nos relations avec les autres, en quoi n’est-elle pas qu’une hypothèse pour ceux qui soutiennent le libre arbitre ? Ceux-ci ne peuvent-ils pas considérer qu’un être qui agit selon des raisons plutôt que poussé par des causes est doué de libre arbitre ?


Russell revient aux partisans de la doctrine du libre arbitre qu’il décrit comme ne se rendant pas compte des conséquences qui découlent de la volonté d’éducation et des rapports entre les hommes de façon générale. Or, c’est parce qu’ils ne se rendent pas compte de ses conséquences qu’ils peuvent soutenir le libre arbitre tout en agissant en se reposant sur l’hypothèse de la motivation psychologique. Il explique donc ainsi comment la contradiction dans laquelle ils sont leur échappe. Il explique surtout ainsi la possibilité qu’il y ait des partisans du libre arbitre alors que tous les hommes admettent la motivation psychologique.
Aussi Russell indique-t-il ce qui se passe lorsque quelqu’un a agi. La question qu’on va lui poser de la forme « pourquoi » l’invite à donner donc des raisons. Or, une raison n’est pas une cause si on pense que la seconde produit son effet alors que la seconde consiste à justifier son acte. Prenons un exemple hors du texte. Si un lion mange un lionceau, la cause en est sa faim. Par contre, si un homme commet un meurtre sur un enfant, on cherchera à savoir quelle raison l’a poussé à agir. Or, selon Russell, nous sommes conduits à considérer que les causes de l’action sont ces croyances et ces désirs. Autrement dit, il ne voit pas de différence essentielle entre les raisons et les causes. C’est pourquoi il met sur le même plan les croyances et les désirs. Les seconds sont bien des motifs d’action qui, d’autant qu’ils ne sont pas voulus par eux-mêmes, semblent conduire à un certain comportement. Les premières non seulement représentent ce que le sujet tient pour vrai, mais également ce qui est souhaitable. En ce sens, elles se ramènent aux désirs. Si donc tout le monde s’attend à ce qu’une action provienne d’une croyance ou d’un désir, tout le monde considère que les hommes agissent bien parce que leur volonté a des causes.
L’extrait établit finalement l’hypothèse de la motivation psychologique en faisant remarquer que lorsque le sujet n’est pas capable d’expliquer son acte, personne ne l’attribue à son libre arbitre, mais on recherche la cause dans l’inconscient du sujet, soit dans ce qui, de son psychisme, échappe à la conscience et donc à la connaissance du sujet sur lui-même – même si la conscience de soi n’est pas nécessairement une connaissance de soi. Autrement dit, l’hypothèse de la motivation psychologique est que tout acte humain a une cause et ne peut s’expliquer par une décision sans cause. L’universalité de l’hypothèse de la motivation psychologique vient donc bien détruire l’hypothèse particulière du libre arbitre dans la mesure où elle ne peut se maintenir seule.


 En un mot, le problème dont il est question dans ce texte de Russell, extrait de Science et religion, daté de 1935, est celui de la possibilité de penser les actions humaines à partir de la thèse du libre arbitre. Russell montre dans son texte que les partisans du libre arbitre sont amenés, comme tous les hommes, à adopter le point de vue contradictoire à leur thèse, à savoir celui de la motivation psychologique. Il consiste à considérer que la volonté a des causes qui ne sont pas essentiellement différentes des mobiles ou des raisons. Ces causes expliquent les comportements humaines et donc la possibilité d’agir sur eux. Dès lors, la thèse du libre arbitre ne permet pas de penser les actions humaines puisqu’elle s’accompagne nécessairement d’une contradiction.


1 commentaire:

  1. Ce que Russel semble oublier c'est que la psychologie d'un individu représente l'autonomie qu'il s'est librement constituée dans le cadre de son hérédité ,de son milieu,de sa culture et de ses expériences personnelles.Diderot affirmait:Comment puis-je ne pas être moi-même?C'es l'originalité de notre autonomie individuelle qui est l'essence de notre lire arbitre.

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