lundi 21 octobre 2019

Corrigé d'une dissertation : Le savoir exclut-il toute forme de croyance ?

On oppose souvent le savant qui, dans son laboratoire, cherche patiemment la vérité et constitue un savoir sûr, au religieux qui ne doute de rien et prétend détenir par révélation divine la vérité tout en se trompant systématiquement. Le savoir exclut-il toute forme de croyance ?
Le savoir, c’est-à-dire l’ensemble des propositions qui reposent sur des preuves ou des démonstrations accessibles à tous, semble exclure toute forme de croyance. C’est qu’en effet, la croyance dans certains faits ne repose sur aucune preuve. Quant à la foi, elle exige justement de croire sans avoir vu comme le Christ ressuscité le dit à un Saint Thomas incrédule (Évangile de Jean, 20).
Néanmoins, le savoir ne semble pas pouvoir ne reposer sur aucune base, voire sans aucune présupposition. Dès lors, le savoir semble avoir besoin de certaines formes de croyances.
Le savoir exclut-il toute forme de croyance où repose-t-il sur certaines d’entre elles et lesquelles ?
Le savoir exclut toute forme de croyance dans son projet, mais repose sur la foi en la nécessité de la vérité, et sur les croyances qui ne sont pas concernées par le thème de la recherche.


Le savoir repose sur des preuves. Tel est son projet. Et pour que ces dernières le soient, il faut exclure toute forme de croyance pour pouvoir examiner. En effet, celui qui croit quelque chose le tient pour vrai. Par conséquent, où il ne cherchera pas, où il sera prévenu en faveur de sa croyance. C’est pourquoi dans « Les ânes rouges », propos du 5 mai 1931, Alain soutient « qu’il ne faut jamais croire, et qu’il faut examiner toujours ». C’est qu’en effet, l’incompatibilité entre le savoir et la croyance va jusqu’au fait qu’une connaissance ne peut être simplement tenue pour vraie pour devenir une sorte de croyance en un sens général. Elle exige le doute ou l’examen sans lequel elle n’est plus une connaissance. Lorsqu’au moyen âge les religieux examinaient les preuves en faveur du mouvement de la Terre, leur croyance qui s’appuyait sur un passage de la Bible où Dieu arrête le Soleil pour aider Josué en empêchant l’armée ennemie de s’enfuir alors que la nuit va tomber (cf. Bible, Ancien testament, Josué 10 : 6-15 ; 12 : 7-24 ; 14 :1-5 ; Juges 2 : 8-13), les amenait à conclure à l’immobilité de la Terre. À l’inverse, c’est parce qu’il n’a pas cru que tout mouvement planétaire n’est pas circulaire que Kepler (1571-1630) a découvert qu’il était elliptique et que le Soleil n’est pas au centre du système solaire mais à un des foyers des ellipses. Et il a adopté le système “héliocentrique” malgré sa foi protestante. Mais le savant peut-il tout remettre en cause ?
Il est vrai que le savant explore un domaine à l’exclusion des autres. Souvent, il reprend les découvertes faites dans les autres domaines lorsqu’il en a besoin. Par exemple, le biologiste reprend les connaissances de la chimie. Mais, en le faisant, il ne peut ignorer l’appareil des preuves. Et il ne peut introduire une croyance sans altérer le savoir, voire le détruire. Le philosophe, quant à lui, peut tout remettre en cause et donc exclut toute forme de croyance lorsqu’il s’agit de rechercher la vérité. C’est Descartes qui l’a montré. Il propose en effet de rejeter tout ce qui est simplement douteux dans la quatrième partie du Discours de la méthode (1637) pour découvrir s’il y a une vérité. Un tel doute qui frappe le témoignage des sens, les démonstrations de la raison et même la distinction du rêve et de la réalité, est bien une totale remise en cause qui ne laisse place à aucune croyance.

Toutefois, s’il est vrai que le savoir exclut toute forme de croyance dans son projet, il n’en reste pas moins vrai que le savant comme le philosophe sont dans l’incapacité de tout remettre en cause sous peine de tomber dans un examen sans aucune fin. Dès lors, ne faut-il pas au moins que le savoir repose sur la foi en la vérité ?


Le savoir exige d’exclure toute forme de croyances, qu’il s’agisse de la foi, c’est-à-dire de la confiance que l’on place en une personne, réelle ou fictive ou de la simple croyance qui consiste à tenir pour vrai sans preuve une proposition ou un fait. Il exige même selon Nietzsche dans Le Gai Savoir (n°344), de rejeter toutes les convictions, c’est-à-dire toutes les pensées que nous tenons pour vraies, quels que soient les motifs. Mais ce refus de toutes les convictions qui caractérise la discipline de l’esprit scientifique exige, pour être possible la croyance en la nécessité de la vérité. C’est elle qui sert de principe pour justement rejeter toutes les autres croyances. Et cette croyance n’est pas simplement l’affirmation que la vérité est nécessaire, c’est une foi en cette nécessité puisqu’elle est mise au premier plan et que toutes les convictions doivent lui être sacrifiées. Mais ne peut-on pas ne pas avoir foi en la vérité hors de la science ?
Même le philosophe qui remet tout en cause présuppose que la vérité existe. Soit il le fait à la façon des sceptiques qui rejette la possibilité de connaître la vérité en prétendant qu’il faut finalement toujours douter. Dès lors, le sceptique invente des suppositions extravagantes comme Descartes le remarque. Qu’on pense à l’impossibilité de distinguer le rêve de la réalité. Mais le sceptique croit suffisamment que la recherche de la vérité est importante pour y consacrer ses réflexions. Soit, comme Descartes avec le doute méthodique, qui consiste à considérer comme faux tout ce qui est simplement douteux, on va chercher à savoir s’il est possible ou non de trouver la vérité. Il faut alors présupposer qu’elle existe alors que par définition, on ne la connaît pas. Et il faut aussi croire en son importance, au sens d’une confiance absolue, pour passer du temps à en rechercher la possibilité.

Cependant, s’il est vrai qu’il y a une forme de croyance que le savoir n’exclut pas, et même une croyance, à savoir celle en la nécessité de la vérité, il n’est peut-être pas évident que le savoir puisse exclure toutes les autres croyances dans la mesure où il apparaît impossible de douter de tout dans le détail sans sombrer dans une tâche impossible et indésirable. Est-il donc possible d’accepter des croyances dans le savoir sans le dénaturer ?


Il est impossible et il n’est pas désirable de chercher à tout prouver. Il est impossible de tout prouver puisqu’il faudrait toujours chercher des preuves à l’infini. Ce n’est pas non plus désirable comme le soutient à juste titre Tocqueville dans le tome II de De la démocratie en Amérique (1840) dans la mesure où on s’empêche ainsi d’examiner d’autres champs du savoir inexplorés. Cela reviendrait à toujours chercher à prouver les mêmes choses. On s’appuie donc sur certaines croyances pour connaître. C’est pour cela que le savoir n’exclut pas toutes les croyances, mais a nécessairement en lui des croyances. Par exemple, lorsque Galilée soutint la thèse héliocentrique, il crut dans l’instrument qu’il utilisait, la lunette, qui montrait notamment que Jupiter avait quatre satellites et donc qu’il n’était pas absurde que la Terre en eût un. Or, comment ces croyances ne pourraient-elles pas détruire le savoir ?
Les croyances nécessaires pour le savoir sont celles qui ne le concernent pas tout en étant nécessaires pour qu’il soit possible. En effet, le savoir implique de ne pas présupposer ce qui est en question. Il faut donc remettre en cause ce qu’on recherche. Mais, il ne faut pas remettre en cause toutes les croyances. Celles-ci sont toutes les propositions ou les faits qu’on accepte sur la base de la foi d’autrui. C’est qu’en effet, croire que tel fait s’est produit ou croire en quelqu’un, revient finalement au même. Toutes les formes de croyance reviennent finalement à la foi. Ainsi, l’historien doit faire confiance aux faits établis par ses confrères ou ses prédécesseurs pour ses propres recherches. S’il devait tout vérifier, il lui faudrait repasser par les mêmes chemins. 


Disons donc enfin que nous nous demandions si le savoir exclut toute forme de croyance où s’il repose sur certaines d’entre elles et lesquelles. Il est vrai que le savoir exclut toute forme de croyance dans son projet qui est de prouver tout ce qu’on avance. Mais, ce projet lui-même exige la foi en la nécessité de la vérité. C’est à cette condition qu’il peut tenter d’exclure toutes les autres croyances. Pourtant, le savoir ne peut se passer des croyances qui ne sont pas concernées par le thème de la recherche. Elles lui appartiennent. C’est pourquoi, le savoir n’exclut pas toute forme de croyance.


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