Un savant dans son laboratoire recherche la vérité alors qu’un religieux, croyant la posséder, paraît incapable de toute recherche. Dès lors, la recherche de la vérité s’oppose-t-elle à toute croyance ?
Il est vrai que la recherche de la vérité implique de penser ne pas la posséder de sorte qu’elle n’est possible que si elle s’oppose, c’est-à-dire exclut toute croyance quelle qu’elle soit, entendue comme le fait de tenir pour vraie une pensée en l’absence même de toute preuve.
Toutefois, s’il ne fallait avoir aucune croyance pour rechercher la vérité, cela semble conduire à une sorte de doute perpétuel qui ne permettrait aucune affirmation, donc qui empêcherait toute recherche de la vérité.
Dès lors, la recherche de la vérité présuppose-t-elle certaines croyances et lesquelles ou bien est-elle possible en s’opposant à toute croyance et comment ?
Le refus de la croyance n’est-il pas ce qui permet la recherche de la vérité ? Une croyance fondamentale n’est-elle pas nécessaire pour que la recherche de la vérité puisse s’opposer aux autres croyances ? Faut-il accepter de nombreuses croyances qui ne s’opposent pas à la recherche de la vérité parce qu’elles la permettent ?
La croyance consiste à tenir pour vrai sans preuve, voire en refusant même de chercher des preuves. Ainsi, si je crois quelque chose sans avoir de preuves ou si, comme dans la foi, je fais confiance en quelqu’un, sans vouloir chercher des preuves de cette confiance, je suis alors soumis à ce que je crois. C’est pourquoi Alain, dans « Les ânes rouges », propos du 5 mai 1931, considère que la croyance empêche la liberté. Seul le doute libère. Or, la liberté est la condition de la recherche de la vérité. Comment chercher la vérité en astronomie quand on a l’obligation de croire que la Terre est immobile ? En effet, il faut être prêt à accepter toutes les idées et les mettre à l’épreuve pour déterminer celle qui est vraie sur un thème donné, voire à toutes les refuser. Mais comment le doute ne pourrait-il pas être paralysant ?
C’est qu’il faut distinguer le doute volontaire, c’est-à-dire de la remise en cause d’une croyance, du doute qui résulte d’une croyance déçue. Ce dernier vient après coup. Et dès lors, c’est lui qui nous empêche d’agir. Le doute volontaire exclut donc toutes les croyances, quelles qu’elles soient. Il exige donc la recherche des preuves et dès lors permet la recherche de la vérité. L’esprit libéré est disponible pour les preuves et donc pour les connaissances. Elles doivent elles-mêmes être conservées par ce doute volontaire. C’est pourquoi Alain a pu écrire que « Le doute est le sel de l’esprit. » (« Les ânes rouges »). Car, sans ce doute volontaire, les connaissances deviennent des croyances.
Cependant, un doute radical pour la recherche de la vérité paraît illusoire puisqu’il implique de toujours revenir sur ces pas. Il rend impossible l’idée même de recherche qui implique d’avoir un objectif clair et de le réaliser. La croyance en ce qu’on recherche n’est-elle pas nécessaire ?
Il est vrai comme Nietzsche le soutient dans Le Gai Savoirque la science remplace les croyances ou convictions par des hypothèses qui demeurent des hypothèses. Si les premières impliquent une affirmation de la vérité, les secondes écartent une telle affirmation. C’est la condition de la scientificité. Dès lors, la recherche de la vérité paraît bien écarter toutes les croyances. Et une hypothèse peut rester telle, même une fois qu’on a trouvé des preuves si on admet que d’autres preuves, jusqu’alors inconnues pourront peut-être invalider l’hypothèse. Reste qu’une croyance est absolument impérative pour que la science elle-même, comme discipline, soit possible.
En effet, la recherche de la vérité qui trouve dans les sciences sa manifestation la plus nette, exige la croyance en la nécessité de la vérité : c’est la foi du savant. Car, que la vérité soit nécessaire ne peut être remis en cause, sinon, comme la recherche pourrait-elle commencer ? Sans cette croyance, la discipline de l’esprit scientifique ne serait pas possible. Il ne pourrait se tenir à refuser toutes les croyances. Il ne pourrait même refuser le contraire moral de la vérité : le mensonge. Ainsi, la croyance en la nécessité de la vérité, non seulement ne s’oppose pas à la recherche de la vérité, mais elle en est la condition nécessaire.
Toutefois, cette croyance, pour nécessaire qu’elle soit, n’est peut-être pas suffisante. Car, dans sa recherche, le savant ne peut refuser toutes les croyances en même temps. Dès lors, ne faut-il pas de nombreuses croyances pour que la recherche de la vérité soit possible ?
Douter de tout, c’est-à-dire hésiter toujours quant à la vérité et à la fausseté, paralyse. On peut à la limite en faire, comme Descartes, une méthode pour rechercher la vérité. Mais, une fois trouvée, il faut s’y tenir et ne pas y revenir. Et encore, Descartes faisait remarquer qu’il n’est pas possible de douter dans le domaine des mœurs. Or, la recherche de la vérité exige, dans les sciences, des expériences, dont une certaine pratique. Il faut donc des croyances pour qu’on puisse rechercher la vérité. Il faut comprendre par-là des idées qu’on ne discute pas. C’est pourquoi Tocqueville, dans le tome II de De la démocratie en Amérique(1840), soutenait que même le philosophe, le chercheur de vérité par excellence, doit accepter de très nombreuses croyances. Par exemple, le savant dans son laboratoire doit avoir confiance dans son matériel comme dans ses collaborateurs. Comment faire alors pour que les croyances ne dirigent pas les recherches ?
Il faut, pour que la recherche soit possible, ne pas croire en ce qu’on recherche, sinon, on ne cherche pas. Aussi faut-il que les croyances, c’est-à-dire les affirmations ou négations qu’on ne remet pas en cause, concernent ce qui n’est pas l’objet de la recherche et qui peut être nécessaire pour la recherche. À cette condition, il est possible de croire pour pouvoir avoir une base de recherche, et de ne pas être paralysée. Ainsi, son adhésion à la valeur de sa lunette astronomique a permis à Galilée (1564-1642) de chercher à résoudre des problèmes particuliers comme celui du mouvement de Vénus, qui lui permit de découvrir une preuve de l’héliocentrisme.
Disons donc pour conclure que le problème était de savoir si la recherche de la vérité présuppose certaines croyances et lesquelles ou bien si elle est possible en s’opposant à toute croyance et comment. Il semblait que le doute volontaire soit la condition pour que la recherche de la vérité soit possible et qu’il excluait toute croyance. Mais, il s’est montré impossible. Il faut au moins la croyance en la vérité. Mais elle n’est pas suffisante. Car tout contrôler est impossible. Les croyances sont parues nécessaires, à condition qu’elles soient extérieures à la recherche.
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