jeudi 10 octobre 2019

Corrigé d'une dissertation : Peut-on se fier à sa raison ?

Le savant dans son laboratoire cherche la vérité et est censé refuser de croire. Or, lorsqu’il raisonne, il fait confiance à sa raison. Or, peut-on se fier à sa raison ?
On peut considérer qu’il est contradictoire de se fier à sa raison. En effet, se fier, c’est faire confiance, c’est donc croire. Or, notre raison, qui est la même pour tous, nous invite à ne pas croire et à chercher des preuves pour pouvoir affirmer des vérités ou sinon, à rester dans le doute.
Cependant, pour pouvoir utiliser sa raison et chercher à connaître, il faut bien lui faire confiance et donc s’y fier.
On peut donc se demander s’il est possible sans contradiction de se fier à sa raison.
Doit-on se fier à sa raison quand on en use bien ? Se fier à sa raison est-il différent de croire dogmatiquement comme dans la religion ? L’incrédulité doit-elle être l’attitude de ma raison ?

Ma raison, c’est ma capacité à chercher des preuves. Cette capacité est la même en tout homme comme le montre les mathématiques où chacun arrive aux mêmes démonstrations lorsqu’elles sont vraies. Elle ne m’interdit pas de croire si et seulement si je fais le meilleur usage d’elle comme le soutient à juste titre Diderot dans l’article « Croire » de l’Encyclopédie (1752). Aussi, puis-je me fier à ma raison à cette condition. C’est que si j’use le plus et le mieux possible de ma raison en examinant le problème dont je m’occupe le mieux possible, il est clair que je n’ai aucun motif de ne pas me fier à ma raison. Ainsi, les savants de l’Antiquité qui ont posé l’hypothèse de la sphéricité de la Terre et qui ont trouvé des observations pour la valider, se sont légitimement fiés à leur raison pour affirmer sa validité. Mais, ne risque-t-on pas de se tromper ?
Il est vrai que comme Diderot le fait remarquer, on peut croire sans examiner et trouver à la vérité. Mais, ce n’est alors qu’hasard. Et on ne peut être satisfait dans son for intérieur du mauvais usage de sa raison. Or, il peut se faire qu’après avoir cherché le plus sérieusement possible, on se trompe. Ainsi, Galilée était-il arrivé à la conclusion erronée que la Terre tourne autour du Soleil de façon circulaire. Il pouvait se fier à sa raison dans la mesure où ses longues recherches le conduisaient à cette conclusion. Une erreur dans ce cas n’est pas une objection dans la mesure où elle n’est pas évitable. Sans la confiance en la raison, on pourrait affirmer ou nier n’importe quoi comme le montrent les “platistes” de nos jours qui prétendent non seulement que la Terre est plate mais que l’armée américaine est postée tout autour pour empêcher qu’on découvre cette “vérité”.

Toutefois, si on se fie à sa raison même en en faisant le meilleur usage possible, on croit sans examiner dans le pouvoir de sa raison et donc la contradiction demeure. Ne faut-il pas donc pas se fier à sa raison d’une autre façon que dans la croyance ?


On peut avec Russell dans « The Essence and Effect of Religion”, une conférence de 1921, distinguer entre deux croyances, celle en la religion et celle en la science. La première est dogmatique. Elle implique de ne pas remettre en cause sa croyance. La seconde est non dogmatique. Elle conduit donc à être prêt à remettre en cause sa croyance. Autrement dit, je tiens pour vrai ce que ma raison m’a fait découvrir tout en étant prêt, si j’ai pour cela de bonnes raisons, à renoncer à ma croyance. Ainsi, alors que le savant qui croyait à la théorie physique de Newton peut l’abandonner s’il comprend que celle d’Einstein est meilleure, le religieux quant à lui, conserve son dogme. Peut-on alors se fier à sa raison ?
Pour cela, il faut donc user d’une confiance non dogmatique envers sa raison. Sans aucune confiance, on ne pourrait pas user de sa raison et il serait donc impossible de faire la moindre recherche. Mais si cette confiance est totale, il est impossible de pouvoir réviser son jugement. Dès lors, ma raison ne peut se corriger et ainsi accéder à la vérité. Ainsi, alors qu’on a cru longtemps que les planètes tournent de façon circulaire, Kepler (1571-1630) a réussi à rompre avec cette idée et concevoir leur mouvement comme une ellipse. Pour cela, il s’est fié à sa raison qui lui indiquait que c’était la figure la plus conforme aux observations dont il disposait là où ses devanciers et ses contemporains – comme Galilée – continuaient à croire que la figure circulaire était la plus pertinente.

Cependant, si je me fie à ma raison, même non dogmatiquement, ce n’est plus vraiment une confiance. Et si c’en est une comment savoir quand il faut se défier pour pouvoir atteindre la vérité ? Ne faut-il donc pas ne jamais se fier à sa raison ? Comment est-ce possible ?


Si on veut connaître, il faut ne pas croire. C’est que croire au double sens de tenir pour vrai sans preuve et de faire confiance sans examiner conduit à présumer qu’on connaît la vérité. Et dans cette mesure il faut douter. C’est pour cela que le savant, à la différence du religieux, cherche toujours à prouver. Par exemple, lors du vol d’Apollo 15, David Scott fit une expérience qui consistait à lâcher au même moment un marteau et une plume pour tester la loi de Galilée selon laquelle les corps chutent à la même vitesse quel que soit leur poids. Cette variation était une nouvelle épreuve de la loi et repose sur un doute. Or, on conçoit qu’on puisse douter de l’hypothèse qu’on examine, mais comment pourrait-on douter de sa raison qui permet d’examiner ?
C’est qu’en fait, s’il faut toujours examiner, c’est qu’on ne peut se reposer sur rien. Telle est la thèse d’Alain qui disait que « le doute est le sel de l’esprit » dans son propos intitulé « Les ânes rouges ». Autrement dit, c’est lui qui conserve les connaissances, y compris celles qui paraissent les mieux fondées. Ce doute n’a rien à voir avec le regret d’avoir cru. C’est un doute volontaire qui consiste à toujours examiner. Il implique non seulement de ne pas croire, c’est-à-dire de pratiquer l’incrédulité, mais de ne pas faire confiance à sa raison, condition pour que l’examen soit toujours possible. C’est pour cela que l’histoire des sciences est une perpétuelle remise en cause qui ne consiste pas en un doute destructeur, mais en un examen constant des théories les mieux éprouvées afin de les prendre sérieusement en défaut.


Disons donc que pour finir on s’était demandé s’il est possible de se fier à sa raison sans contradiction. Il apparaissait possible de le faire en usant le mieux possible de sa raison, mais il faut au minimum ne pas se fier dogmatiquement à sa raison. Dès lors, il faut faire un pas de plus, c’est-à-dire refuser de se fier à sa raison en exerçant un doute volontaire.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire