lundi 14 octobre 2019

HLP Augustin question de compréhension philosophique


Sujet.
Augustin, père de l’Église, a d’abord enseigné la rhétorique à Carthage, Rome et Milan, avant sa conversion au catholicisme.

L’éloquence elle-même, aux formes plus développées et plus étendues, a ses règles qui sont vraies, quoiqu’elles puissent servir à la persuasion de l’erreur. Mais comme elles servent également à persuader la vérité, ce n’est pas l’éloquence elle-même, mais ceux qui en font un usage pervers, qu’il faut condamner. Car ce ne sont pas les hommes qui ont établi qu’une démonstration de bienveillance prévienne favorablement l'auditeur ; qu’une narration claire et précise insinue facilement son objet dans l’esprit ; qu’un récit varié soutienne l’attention et prévienne l’ennui. Ces règles et autres semblables sont toujours vraies, dans la cause de l’erreur comme dans celle de la vérité, en ce sens que leur effet est de porter la connaissance ou la persuasion dans les esprits, de leur inspirer pour une chose le désir ou la répulsion. Les hommes leur ont reconnu cette puissance, mais ils ne la leur ont pas communiquée.
Augustin, De la doctrine chrétienne, II, 36.

Question d’interprétation philosophique
Comment Augustin défend ici l’éloquence, et en particulier que signifie « Les hommes leur ont reconnu cette puissance, mais ils ne la leur ont pas communiquée » ?

Corrigé.
L’éloquence, c’est-à-dire le fait de persuader par la parole, a mauvaise presse surtout quand elle résulte d’un « art » comme la rhétorique. En effet, Platon dans le Gorgias la condamne car elle ne correspond à aucune connaissance et ne vise aucun bien. Elle peut conduire au mal, ne serait-ce que par négligence du bien.
Toutefois, l’absence d’éloquence est apparemment impossible car, lorsqu’on parle à quelqu’un, on ne peut éviter de tenter de le séduire.
Aussi peut-on défendre l’éloquence. C’est ce que fait Augustin dans cet extrait de De la doctrine chrétienne.
Augustin montre d’abord que l’éloquence n’est pas responsable de son mauvais usage, notamment lorsqu’elle résulte d’une connaissance des règles, c’est-à-dire qu’elle est le résultat de la rhétorique. Puis, il donne des exemples de procédés rhétoriques qui ne sont pas de la responsabilité des hommes qui font l’éloquence. Enfin, il infère à propos des moyens de la persuasion que « Les hommes leur ont reconnu cette puissance, mais ils ne la leur ont pas communiquée ».

Augustin montre donc que l’éloquence, dans la mesure où elle est développée, a des règles vraies, même s’il concède qu’elles peuvent conduire à persuader l’erreur. Il faut comprendre que ce qui est vrai, c’est l’existence de règles qui produisent la persuasion, quel que soit le contenu de ce qu’on persuade. Le contenu, quant à lui, de ce qu’on persuade, peut être vrai ou faux. Ainsi, Augustin soutient qu’il y a bien un art rhétorique qui a un domaine propre : celui du persuasif (comme Aristote le soutenait dans sa Rhétorique).
Dès lors, il en conclut que c’est ceux qui font un mauvais usage de l’éloquence et non l’éloquence elle-même qui sont condamnables. Il reprend la même défense que celle de Gorgias lorsqu’il défendait la rhétorique dans le dialogue de Platon qui porte son nom. Gorgias soutenait aussi que seuls ceux qui en faisaient mauvais usage étaient blâmables.
Or, comment l’éloquence peut-elle produire des effets, indépendamment du contenu de ce qui est dit ?

Augustin donne trois exemples d’effets de l’éloquence. Premièrement, l’esprit est plus facilement persuadé lorsqu’il y a bienveillance à son égard. Autrement dit, si le locuteur manifeste une disposition plutôt favorable vis-à-vis de son interlocuteur, ce dernier le croira plus facilement que s’il a une attitude inverse, et cela, quel que soit le contenu de ce qu’il dit, que ce contenu soit vrai ou faux.
Deuxièmement, un récit clair et précis produit un effet persuasif plus important qu’un récit qui serait obscur et confus, que le contenu en soit vrai ou faux. Nous pouvons remarquer l’importance de cet exemple dans le débat judiciaire.
Enfin, troisièmement, si le récit présente une certaine diversité, l’interlocuteur sera plus attentif et ne s’ennuiera pas ; ce qui le conduira à être plus facilement persuadé d’un contenu. Lorsqu’il s’agit de conserver l’attention d’un auditoire, voire d’un lecteur, la règle s’applique. Le contenu de récit, vrai ou faux, importe peu quant à l’effet de cet exemple d’éloquence.
Or, ne peut-on pas condamner la rhétorique elle-même et l’éloquence qui en résulte dans la mesure où elle produit des effets persuasifs ? Ne peut-on pas prévenir les effets de l’éloquence ?

Augustin en infère, par induction, que les exemples qu’il vient de présenter, et qu’il qualifie de règles, ainsi que d’autres du même genre, sont vraies. Par règle, il faut entendre une prescription qui indique comment faire pour obtenir un effet. Il précise en quel sens elles le sont. Elles produisent toujours un effet dans l’esprit. Il en donne deux couples. Elles peuvent faire connaître ou persuader, soit amener à la vérité ou à la simple apparence. Elles peuvent produire pour quelque chose le désir ou son contraire la répulsion. Autrement dit, les hommes ne peuvent pas effacer les effets des règles de la rhétorique.
Aussi, Augustin peut en déduire que ce qu’ils ont été seulement capables de faire, c’est de reconnaître la puissance des règles. Cette reconnaissance, c’est justement l’art rhétorique. Mais, les règles elles-mêmes, ce ne sont pas eux qui les ont faites et surtout, ils ne sont pas responsables de la puissance qu’elles ont sur les esprits. À l’instar de Gorgias qui, dans L’éloge d’Hélène, soutient que le « logos est un tyran puissant », Augustin met en lumière que les règles de la rhétorique produisent nécessairement leurs effets de sorte qu’elle est fondamentalement innocente. En effet, la puissance des règles sur l’esprit, les hommes « ne la leur ont pas communiquée » signifie, puisque « la » est complément d’objet direct, qu’ils ne sont pas les auteurs de la puissance de ces règles.

Disons donc pour finir qu’Augustin défend l’éloquence en montrant non seulement qu’elle est innocente de l’usage qu’on en fait mais surtout parce que les règles qui en font les effets et qu’on peut considérer comme l’objet de la rhétorique comme art de la parole et productrice de l’éloquence, produisent leurs effets sur les hommes sans qu’ils puissent les modifier.

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