mardi 8 octobre 2019

Corrigé d'une explication de texte de Rousseau sur le bonheur et le contentement

Sujet.
Expliquer le texte suivant :
Le bonheur est un état permanent qui ne semble pas fait ici-bas pour l’homme. Tout est sur la terre dans un flux continuel qui ne permet à rien d’y prendre une forme constante. Tout change autour de nous. Nous changeons nous-mêmes et nul ne peut s’assurer qu’il aimera demain ce qu’il aime aujourd’hui. Ainsi tous nos projets de félicité pour cette vie sont des chimères. Profitons du contentement d’esprit quand il vient ; gardons-nous de l’éloigner par notre faute, mais ne faisons pas des projets pour l’enchaîner, car ces projets-là sont de pures folies. J’ai peu vu d’hommes heureux, peut-être point ; mais j’ai souvent vu des cœurs contents, et de tous les objets qui m’ont frappé c’est celui qui m’a le plus contenté moi-même. Je crois que c’est une suite naturelle du pouvoir des sensations sur mes sentiments internes. Le bonheur n’a point d’enseigne extérieure (1) ; pour le connaître il faudrait lire dans le cœur de l’homme heureux ; mais le contentement se lit dans les yeux, dans le maintien, dans l’accent, dans la démarche et semble se communiquer à celui qui l’aperçoit. Est-il une jouissance plus douce que de voir un peuple entier se livrer à la joie un jour de fête, et tous les cœurs s’épanouir aux rayons expansifs du plaisir qui passe rapidement, mais vivement, à travers les nuages de la vie ?
Jean-Jacques RousseauRêveries du promeneur solitaire (posthume 1782)

(1) « enseigne extérieure » : marque apparente.

La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.


Corrigé
[Ce texte est le début de la neuvième promenade des Rêveries du promeneur solitaire, texte inachevé que Jean-Jacques a rédigé entre 1776 et sa mort en 1778 alors qu’il était réfugié au château d’Ermenonville où il mourut et fut enterré. C’est là que le royaliste légitimiste Chateaubriand se recueillit avant d’émigrer selon ce qu’il relate dans ses Mémoires d’outre-tombe. La république honora le citoyen de Genève en faisant entrer ensuite sa dépouille au Panthéon.]


Chercher le bonheur est la fin dernière de tout homme ont souvent soutenu les philosophes depuis Platon (par exemple, Euthydème, 278e ; Banquet, 205a). Mais l’homme peut-il être heureux étant donné la réalité de ce monde ? Une telle quête n’est-elle pas illusoire ? Et dans ce cas, l’homme est-il condamné à être malheureux ou bien peut-il trouver quelque motif à être satisfait de son sort ?
Tel est le problème que résout Rousseau dans cet extrait des Rêveries du promeneur solitaire publié à titre posthume en 1782. Le citoyen de Genève veut montrer que si le bonheur est impossible pour l’homme, il peut connaître le contentement qui a la vertu d’être communicatif.
Rousseau montre d’abord pourquoi le bonheur n’est pas possible pour l’homme sur la Terre. Puis, il indique comment il est possible de trouver un certain contentement. Enfin, comment ce contentement se communique jusqu’à être collectif.


Rousseau commence par définir le bonheur par une de ses caractéristiques, à savoir un état permanent. Il faut donc comprendre que le bonheur n’est pas lié à un instant. Il doit durer pour être. Et il doit durer autant de temps que l’homme est puisque son absence serait une rupture de la permanence. Autrement dit, le bonheur doit durer toute la vie. On comprend que Rousseau précise immédiatement que le bonheur n’est pas fait pour l’homme. Il précise que cette impossibilité est ici-bas, terme qui s’oppose à l’au-delà. Rousseau n’exclut donc pas le bonheur pour l’homme en général. Il l’exclut sur terre. Son texte ouvre donc une espérance religieuse ou métaphysique puisqu’il laisse entendre que l’homme pourrait être heureux dans l’au-delà. Qu’est-ce donc qui empêche le bonheur sur terre puisqu’il faut avouer que l’idée d’un bonheur dans l’au-delà nous est étrangère si ce n’est sous la forme de quelque vague intuition ?
Rousseau justifie sa thèse en posant que la réalité sur terre est dans un devenir constant qui empêche toute permanence. L’impossibilité de toute constance apparaît ainsi incompatible avec le bonheur tel que Rousseau le comprend. Il précise que le changement concerne d’abord toutes les choses autres que l’homme. Il faut comprendre qu’elles ne gardent pas une identité telle qu’elles permettraient cette relation stable à l’homme qui est impliquée dans son concept de bonheur. Et Rousseau ajoute que nous changeons nous aussi. Or si nous changeons de la même manière que les choses, cela ne reconstitue-t-il pas la stabilité recherchée ? On comprend que Rousseau précise rapidement que le changement en nous concerne ce que nous aimons. Dès lors si notre désir change en un sens et les choses en un autre, nous n’obtiendrons pas la stabilité ou l’identité de forme à travers le temps qui constitue le bonheur. Ce qui importe surtout, c’est l’absence d’assurance quant à notre désir lui-même. Que penser alors du bonheur ?
Rousseau en déduit que « tous nos projets de félicité pour cette vie sont des chimères. » Le terme de félicité doit être pris au sens de bonheur, c’est-à-dire de satisfaction de nos désirs, stable, identique à elle-même. On ne doit pas nécessairement comprendre le plaisir éphémère des sens. Or, un projet de félicité n’a de sens que si et seulement s’il s’appuie sur des désirs qui restent identiques et sur une réalité qui leur répond sans changement. Ce deux conditions n’étant pas réalisées et réalisables, Rousseau peut alors les considérer comme des chimères avec cette restriction qu’il s’agit de cette vie. La chimère est une créature imaginaire composée elle-même d’éléments réels appartenant au serpent, à la chèvre et au lion. Ce sont donc les éléments du projet de félicité qui sont facticement reliés en ce sens qu’ils sont possibles dans la réalité mais pas ensemble.

Est-ce à dire que l’homme est voué au malheur ? N’y a-t-il aucune satisfaction pour l’homme sur terre ? N’est-elle qu’une vallée de larmes comme semble l’indiquer le début de cet extrait qui paraît une sorte de sermon religieux ?


Rousseau s’enjoint ou enjoint les hommes de s’en tenir à ce qu’il nomme le contentement d’esprit. L’expression écarte les plaisirs du corps. Sans dire comment un tel contentement est possible, il le montre comme venant, c’est-à-dire finalement ne dépendant pas entièrement de nous. C’est que le désir pour être satisfait doit voir la réalité extérieure lui être conforme. Et Rousseau s’il a nié la permanence de la satisfaction n’a pas nié qu’elle soit possible. Il donne un deuxième conseil, à savoir ne pas se rendre coupable d’éloigner le contentement d’esprit. Autrement dit, c’est une faute morale que d’être mécontent de soi. On peut penser que c’est parce que le mécontentement de soi est négatif pour autrui, voire pour soi et donc ne dispose pas à bien agir. Par contre il oppose à ce deuxième conseil un projet qui n’a pas de sens, à savoir vouloir que le contentement d’esprit perdure. Il en donne comme explication qu’il s’agit pour ce genres de projets « de pures folies ». Il reprend ainsi ce qu’il avait d’abord montré, à savoir que le bonheur est impossible. Savoir que le bonheur est impossible permet donc de ne pas se lancer dans un projet irréalisable qui nous rendrait donc non seulement malheureux mais qui ne nous permettrait même pas d’obtenir les satisfactions de cette vie. On peut dès lors comprendre que c’est en s’abandonnant au pur plaisir du présent que le contentement est possible. Vouloir le faire perdurer, se préoccuper de l’avenir, c’est certainement se préparer à être déçu.
Pour montrer que son conseil est réalisable, il rejette la possibilité de connaître des hommes heureux mais affirme avoir fait l’expérience d’hommes contents. L’expression de « cœur contents » renvoie à quelque chose de subjectif au sens où seul le sujet peut savoir s’il est content ou non. Comment donc est-il possible d’affirmer qu’un autre est content ? Comment accéder à un cœur autre, par définition inaccessible ? Rousseau ajoute que le contentement vu chez les autres a fait aussi son contentement. On peut donc considérer que c’est justement l’effet de contentement ressenti qui prouve en quelque sorte que les autres sont également contents. Autrement dit, le contentement tout en étant subjectif se montre comme la rougeur manifeste la honte si on peut se permettre cette comparaison. Il y a donc une sorte de communication des cœurs.
Rousseau propose une explication de ce fait : « Je crois que c’est une suite naturelle du pouvoir des sensations sur mes sentiments internes. » Cette explication, il la présente comme une simple croyance. Elle consiste à lier les sensations, c’est-à-dire l’appréhension par les sens d’une réalité extérieure, avec les sentiments que Rousseau précise par l’adjectif « internes » pour marquer leur caractère subjectif, c’est-à-dire purement vécu. Autrement dit, le mécanisme serait le suivant : on perçoit les manifestations du contentement d’un autre. Cette perception a un effet sur le sentiment qui produit le contentement.

Or, s’agit-il là d’une capacité propre au seul Rousseau ou bien peut-on l’attribuer à tout autre homme ? Autrement dit, le contentement est-il accessible aux autres hommes sous la forme d’une communication ?


Rousseau oppose justement le bonheur au contentement quant à la possibilité de le saisir en l’autre. Il ne s’agit donc pas seulement de la subjectivité du seul Jean-Jacques. Le bonheur dont il admet la possibilité de façon apparemment contradictoire avec ce qu’il a d’abord prouvé ne se manifeste pas. Il serait une sorte d’accord entre les désirs ou aspirations humaines et la réalité extérieure qui serait purement vécu. Aussi indique-t-il une condition impossible pour le connaître en l’autre : lire dans son cœur, bref, ce serait se retrouver à la place de Dieu qui « sonde les cœurs » (La Bible, L’ancien testament, Jérémie, 17, 10).
Par contre, le contentement se montre à des signes : le regard, le maintien, l’accent du langage, la démarche du corps. Le contentement n’est pas simplement vécu intérieurement, mais est selon Rousseau un vécu qui se manifeste, c’est-à-dire qui se montre extérieurement. Les conduites qu’énumère Rousseau impliquent toutes une subjectivité qui en est le principe et une manifestation extérieur. Par exemple, le maintien exprime nécessairement un sentiment subjectif mais ce sentiment ne peut pas ne pas se montrer. Il est nécessaire alors de penser que le contentement se montre tel qu’il est, qu’il est en quelque sorte une satisfaction absolument transparente au regard extérieur. Aussi, le regard de celui qui est content le montre dans son vécu. Dès lors, le contentement se communique à celui qui est extérieur. Par communiquer on peut entendre transmettre une information, mais surtout il faut comprendre ici partager conformément à l’étymologie du terme.
En effet, pour marquer ce partage, Rousseau, par une question rhétorique, exprime le sentiment de contentement au spectacle d’un peuple un jour de fête. Il s’agit là d’un moment collectif de joie où chacun est uni aux autres. Mais ne s’agit-il pas alors de bonheur qui a une certaine durée ? Nullement. C’est que la communication du plaisir entre tous les cœurs n’est pas pure. Rousseau use de la métaphore des rayons de Soleil pour exprimer cette communication du plaisir lors d’une fête qui est par définition collective car il use d’une seconde métaphore, celle des « nuages de la vie », métaphore commune qui dit les déceptions, les malheurs, grands ou petits. Dès lors, de la même manière que le Soleil traverse les nuages, le plaisir communicatif de la fête vient traverser les malheurs de la vie. Ainsi, le contentement est bien différent du bonheur car, non seulement il est éphémère et non permanent, il est intérieur et extérieur à la fois et non seulement intérieur, mais surtout il n’exclut pas le malheur.


Disons pour conclure que le problème était de savoir si, le bonheur impossible étant, l’homme est voué au malheur. Or, Rousseau montre qu’il est possible de distinguer et d’opposer le bonheur et le contentement dans cet extrait des Rêveries du promeneur solitaire. L’auteur des Confessions montre l’impossibilité du bonheur entendu comme état stable de satisfaction pour l’homme en ce monde. Il admet donc la possibilité du contentement. Or, il paraît comme une sorte de bonheur momentané, voire si on se refuse à se projeter vers le futur comme le bonheur même dans la mesure où c’est le présent qu’on vit. Mais Rousseau montre que le contentement se distingue du bonheur en quelque sens qu’on le prenne par deux caractères. Il se communique et il n’exclut pas le malheur.



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