Sujet.
La discipline transforme l’animalité en humanité. Par son instinct un animal est déjà tout ce qu’il peut être, une raison étrangère a déjà pris soin de tout pour lui. Mais l’homme doit user de sa propre raison. Il n’a point d’instinct et doit fixer lui-même le plan de sa conduite. Or, puisqu’il n’est pas immédiatement capable de le faire, mais au contraire vient au monde pour ainsi dire à l’état brut, il faut que d’autres le fassent pour lui. (…)
La discipline empêche que l’homme soit détourné de sa destination, celle de l’humanité, par ses penchants animaux. Elle doit par exemple lui imposer des bornes, de telle sorte qu’il ne se précipite pas dans les dangers sauvagement et sans réflexion. La discipline est ainsi simplement négative ; c’est l’acte par lequel on dépouille l’homme de son animalité ; en revanche l’instruction est la partie positive de l’éducation.
L’état sauvage est l’indépendance envers les lois. La discipline soumet l’homme aux lois de l’humanité et commence à lui faire sentir la contrainte des lois. Mais cela doit avoir lieu de bonne heure. C’est ainsi par exemple que l’on envoie tout d’abord les enfants à l’école non dans l’intention qu’ils y apprennent quelque chose, mais afin qu’ils s’habituent à demeurer tranquillement assis et à observer ponctuellement ce qu’on leur ordonne, en sorte que par la suite ils puissent ne pas mettre réellement et sur-le-champ leurs idées à exécution.
Kant, Traité de pédagogie, 1803.
Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que le texte soit d’abord étudié dans son ensemble.
Questions
1. Dégagez l’idée principale du texte et les étapes de son argumentation.
2. Expliquez :
a. « Il n’a point d’instinct ».
b. « La discipline empêche que l’homme soit détourné de sa destination ».
3. La discipline est-elle essentielle à l’éducation ?
Corrigé.
Dans toutes les sociétés humaines, y compris celles qui passent pour sauvages, on trouve une éducation, avec des connaissances techniques et culturelles à acquérir et des règles voire des contraintes que l’on impose aux enfants. N’est-ce pas parce que l’éducation est une dimension essentielle pour l’homme ?
Dans cette éducation il y a une part de contraintes que l’on peut nommer discipline. Kant, dans cet extrait du Traité de pédagogie paru en 1803, soutient que la discipline est essentielle à l’éducation de l’homme en ce qu’elle est la condition négative qui lui permet de sortir de l’animalité pour accéder à l’humanité ?
Or, ne peut-on pas apprendre aux enfants à agir non pas en les contraignant mais en dirigeant leurs plaisirs, comme par le jeu par exemple ? La discipline est-elle essentielle à l’éducation ?
L’auteur commence par exposer le rôle essentiel selon lui de la discipline, à savoir de transformer l’animalité en l’homme en humanité. Pour expliquer cela, il pose que l’animal est doté d’un instinct. Par là il entend ce qui permet à l’animal de se conduire et qui lui est donné à la naissance. D’où l’image d’une raison étrangère qui a tout fourni à l’animal pour qu’il vive. Autrement dit, tout ce passe comme si l’animal avait en lui des connaissances et des règles de conduite.
Il lui oppose l’homme qui lui a pour devoir d’utiliser sa propre raison. Or, cet usage, il ne le connaît pas, sans quoi il aurait un ou plusieurs instincts. C’est pourquoi Kant lui refuse la possession d’instinct. Cela signifie donc que l’homme n’a en lui de façon innée aucune règle de conduite. Or, si l’animal agit par instinct et si l’homme n’en a pas, qu’est-ce que peut être l’animalité dont il doit se déprendre grâce à la discipline ? On doit donc comprendre que l’homme a des tendances similaires aux instincts animaux sans aucune règle. Dès lors, l’animalité en lui s’oppose bien à l’humanité, c’est-à-dire à la capacité à se donner à soi-même des règles puisqu’il naît sans aucune règle. Kant en déduit que chaque homme à la naissance, a besoin des autres hommes pour apprendre les règles nécessaires à sa vie d’homme. La discipline serait donc un moyen d’apprendre ces règles.
Mais est-ce le seul ? L’éducation peut-elle se passer de discipline ?
Kant analyse la discipline. Il indique que sa fonction est d’être un obstacle aux penchants animaux de l’homme qui sont susceptibles de l’attirer et donc de ne pas lui permettre de réaliser sa destination, soit la fin qui est la sienne. Cette fin, c’est l’humanité. En effet, comme l’homme doit par sa raison se fixer à lui-même sa conduite, l’humanité pour lui est une tâche qu’il doit réaliser. C’est ce que signifie le terme de destination. Cette destination pour l’homme est de réaliser lui-même son humanité.
Kant illustre ce rôle nécessaire de la discipline comme ayant pour rôle de fixer à l’enfant des limites afin qu’il ne tombe pas dans des dangers. Ce qu’il est susceptible de faire sauvagement et sans réflexion. En ce sens, l’enfant diffère de l’animal qui, lui, connaît instinctivement les dangers. Par conséquent, il ne risque pas de s’y précipiter. Il y a donc bien une animalité en l’homme qui n’est pas celle de l’animal puisqu’elle réside dans les penchants. Ils sont innés comme les instincts mais ne donnent lieu à aucune règle de comportement. Un animal de telle espèce mangera par exemple tel aliment qu’il obtiendra de façon innée. Le jeune enfant par contre ne sait pas comment manger.
Kant en déduit que la discipline n’est que négative en ce sens que sa fonction consiste à ôter quelque chose et non à apporter puisqu’elle enlève à l’homme son animalité. Il lui oppose l’autre aspect de l’éducation qui est l’instruction, qui si elle est la partie positive de l’éducation, doit apporter à l’homme des connaissances sur ce qui est ou sur ce qu’il doit faire, c’est-à-dire les lois. On peut dire que si un enfant risque de se heurter à des dangers, on peut, tant que son intégrité physique n’est pas en jeu, le laisser faire lui-même l’expérience. En ce sens la discipline n’est pas essentielle à l’éducation. Quant à empêcher quelqu’un de se nuire à lui-même, c’est moins de la discipline que de l’assistance à personne à danger.
Toutefois, pour que l’homme puisse être instruit, encore faut-il qu’il ne se laisse pas aller à ses penchants. N’est-ce pas le rôle de la discipline ?
Kant définit plus précisément l’état du sauvage qui est le point de départ de tout homme comme étant le fait d’agir sans tenir compte d’aucune loi. Il lui oppose la discipline qui assujettit l’homme à ses propres lois. Elle lui donne le sentiment de la pression de la légalité. La discipline ainsi définie prépare bien l’homme à sa tâche d’homme qui est d’être capable d’obéir à des lois qu’il conçoit grâce à sa raison.
Kant oppose à l’idée que la discipline puisse être apprise à n’importe quel moment la nécessité de commencer tôt pour l’enfant. Il illustre ce point en donnant la fonction première de l’école dans la petite enfance. Elle n’a pas d’abord une fonction d’instruction. Elle a une fonction de discipline. Kant la décrit. Les enfants sont accoutumés à rester assis sans agitation et à faire ce qu’on leur prescrit. Le but de la discipline, est de permettre à l’enfant d’apprendre à se maîtriser. Kant en déduit que l’enfant devenu adulte sera capable de ne pas réaliser ses idées lorsqu’elles lui viennent comme le fera un sauvage pour qui le penchant animal est déterminant.
C’est en ce sens que la discipline est essentielle à l’éducation. Car, même le jeu qui est une activité voulue exige des contraintes. Aussi peut-on l’utiliser, c’est-à-dire rendre plaisante l’instruction, mais il ne peut être question de laisser les penchants animaux s’exprimer sans règle, sans quoi aucune activité humaine n’est possible.
Disons donc que Kant a montré, dans ce texte extrait du Traité de pédagogie paru en 1803, quel était le rôle de la discipline dans l’éducation. Si elle est essentielle, c’est en ce sens qu’elle vise à habituer l’homme à limiter l’expression de ses penchants animaux qui, par eux-mêmes, ne sont pas réglés comme l’instinct. Dès lors, elle prépare l’instruction qui permet à l’homme d’apprendre ce qu’il doit faire. Elle prépare surtout l’autonomie de l’homme, c’est-à-dire sa capacité à obéir aux lois qu’il se donne lui-même qui est la liberté proprement humaine, différente de l’indépendance sauvage qui est bien plutôt soumission aux penchants animaux. Autonome, l’homme peut alors régler l’usage de ses penchants qui deviennent humains comme on le verrait dans l’amour.
Riche explication. Merci!
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