Sujet.
Expliquer le texte suivant :
Le doute est le sel de l’esprit ; sans la pointe du doute, toutes les connaissances sont bientôt pourries. J’entends aussi bien les connaissances les mieux fondées et les plus raisonnables. Douter quand on s’aperçoit qu’on s’est trompé ou que l’on a été trompé, ce n’est pas difficile ; je voudrais même dire que cela n’avance guère ; ce doute forcé est comme une violence qui nous est faite ; aussi c’est un doute triste ; c’est un doute de faiblesse ; c’est un regret d’avoir cru, et une confiance trompée. Le vrai c’est qu’il ne faut jamais croire, et qu’il faut examiner toujours. L’incrédulité n’a pas encore donné sa mesure. Croire est agréable. C’est une ivresse dont il faut se priver. Ou alors dites adieu à liberté, à justice, à paix.
Alain, Propos du 5 mai 1931.
La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.
[Ce texte est extrait d’un propos intitulé « Les ânes rouges » dans Alain, Propos, Gallimard, « La Pléiade », 1956, pp.1014-1016.]
Corrigé
« Il doute. » Voilà à la fois une description et l’expression d’une sorte de malheur qui frapperait quelqu’un. Bref, le doute n’a pas bonne presse. Pourtant, on redoute aussi l’obstiné, celui dont la foi de charbonnier ne connaît pas l’interrogation. Douter ou ne pas douter, telle est la question dont traite ce texte d’Alain extrait d’un de ses Propos daté du 5 mai 1931.
L’auteur veut montrer que douter est la condition pour que la connaissance et les plus hautes valeurs morales et politiques puissent être.
Or, puisque douter, c’est remettre en cause, on ne voit pas comment Alain peut penser que le doute peut fonder à la fois la connaissance et la pratique humaine.
L’extrait commence par une métaphore filée. En effet, Alain présente le doute comme « le sel de l’esprit » et ajoute qu’il est la condition pour que toutes les connaissances ne soient pas pourries. C’est donc le sel comme conservateur dont il est question. Il faut donc comprendre que le doute est la condition pour que les connaissances se conservent, c’est-à-dire restent des connaissances. Or, le doute s’entend habituellement comme l’hésitation de l’esprit quant à la vérité ou à la fausseté d’une pensée. Qui doute est conscient de ne pas savoir. Comment donc le doute pourrait-il rendre possible les connaissances ?
Le caractère problématique du propos d’Alain est renforcé par la précision qu’il apporte. En effet, selon lui, ce sont les connaissances les mieux fondées et les plus raisonnables que le doute conserve en tant que telles. Or par connaissances les mieux fondées on ne peut qu’entendre celles qui reposent sur les principes les plus certains. Le doute au contraire semble détruire les connaissances. Il est en apparence un principe d’incertitude, si on peut dire. Les connaissances les plus raisonnables sont celles qui, pour incertaines qu’elles soient quant au fond, sont les plus conformes à la raison. Là encore le doute semble plutôt un excellent moyen pour les détruire. Bref, la thèse d’Alain sur le doute comme conservateur de la connaissance semble totalement absurde.
Toutefois, dans l’hypothèse où le doute ne consiste pas simplement à hésiter, ne peut-il pas être un excellent moyen pour rendre la connaissance possible ?
En effet Alain précise de quel doute selon lui il ne parle pas. Il donne deux conditions de cet autre doute, à savoir qu’il survient soit après qu’on a été trompé, soit après qu’on se soit trompé. Autrement dit, c’est un doute qui arrive après une erreur qui provient d’un autre ou de soi. Or, cet autre doute n’est pas difficile selon lui, autrement dit, il n’exige aucun effort. Il précise qu’un tel doute ne permet pas d’avancer beaucoup. Qu’est-à-dire ? Le doute qu’il préconise sert à conserver les connaissances. Ce second doute quant à lui surgit après une erreur. Il n’est donc pas en position première mais en position seconde. C’est pourquoi Alain le nommant « un doute forcé », précise qu’il peut se comparer à une violence qu’on subit. Or par violence on entend généralement une force qui est exercée contre notre volonté explicite et implicite. Bref, ce doute n’est pas volontaire. On doit donc comprendre que le doute qu’il préconise est volontaire.
Il en déduit plusieurs conséquences. La première est que ce second doute est triste, autrement dit qu’il est un sentiment négatif. En effet, comme nous ne l’avons pas voulu, comme il vient contre notre volonté, il ne peut être ressenti que comme un mal. On peut donc penser que le doute qu’il vise est joyeux, expression donc de l’exercice de notre volonté. La seconde conséquence est qu’il est l’expression de la faiblesse. En effet, qui subit une force contraire est faible. Il faut donc comprendre que le doute qu’il prône est un doute de force, à savoir la force de la volonté.
Il en déduit ensuite deux éléments de définition de ce doute. La première qu’il n’est rien d’autre qu’un regret d’avoir cru. On comprend donc que c’est la croyance, c’est-à-dire l’assentiment donné à une pensée sans fondement, qui s’est révélé une erreur et que le doute n’est rien d’autre que le fait de se reprocher d’avoir donné cet assentiment. Le second élément de définition est celui de la confiance trompée. Avoir confiance définit la foi. Qui voit sa foi contestée après coup se sent trompé.
Or, en quoi le doute pourrait-il être autre chose que le fait de se reprocher d’avoir pensé vrai quelque chose ? Et s’il peut être autre, en quoi peut-il fonder la connaissance et la vie pratique ?
On comprend donc enfin que douter n’est pas simplement hésiter. En effet, Alain oppose au doute de faiblesse deux exigences, ne jamais croire et examiner toujours. Qui ne croit pas ne donne pas son assentiment sans fondement. Au contraire, il cherche un fondement. Mais de quelque façon qu’il s’y prenne pour le découvrir, s’il s’arrête d’examiner, il retombe dans la croyance. Or, examiner, c’est chercher ce qui fonde, donc prendre en compte les objections possibles, les manques, les lacunes. Bref, douter, c’est non seulement comme Descartes, dans la quatrième partie du Discours de la méthode (1637), l’a proposé à titre de méthode, rejeter comme faux tout ce qui est simplement douteux pour découvrir si quelque chose est fondé, mais c’est surtout réitérer pour toutes les connaissances cette opération. Ce qui fonde une connaissance c’est la démarche qui y conduit. Et cette démarche puisqu’elle n’est pas croyance, est doute.
Alain pronostique alors que le doute qu’il nomme maintenant « l’incrédulité », terme qui évidemment indique l’opposition à la foi religieuse ou plutôt à la foi des églises n’a pas encore montré tout ce dont elle est capable. Autrement dit, la plupart des hommes s’en tienne à la croyance. Pourquoi ? Il en donne une double explication. La première est que la croyance fait plaisir. Ce qui fait qu’on croit n’est pas la recherche puisque croire implique de ne pas savoir qu’il faut rechercher. Dès lors, qu’est-ce sinon le désir, de sorte que nos croyances reflètent ce que nous désirons être vraies. La foi qui est promesse d’une vie meilleure en est la plus parfaite illustration. La seconde est que la croyance est une ivresse. En effet, l’ivresse, c’est ce qui fait que le sujet est hors de lui. Dans la croyance, le sujet n’a pas volontairement donné son assentiment sinon il se rendrait compte de l’absence de fondement. Dès lors, Alain préconise de se priver de la croyance comme une ligue de vertu proposerait de se priver d’alcool. Car à partir du moment où on croit on rend notre esprit esclave, de nos désirs, voire de ceux qui peuvent agir sur nos désirs et que les Anciens nommaient des démagogues.
C’est ce qui explique finalement que le doute libère l’esprit. Et inversement, croire, c’est se rendre esclave. Par conséquent, la liberté politique elle-même suppose de ne pas croire aux politiciens, aux croyances sociales autrement nommées préjugés, etc. Qui croit ne peut juger impartialement. Le doute sera donc la condition de la justice dans tous les sens du terme. Qui croit aura comme ennemis ceux qui n’ont pas les mêmes croyances. Qui examine ne peut, à l’instar du patron des philosophes, Socrate, tel que Platon nous le montre dans nombre de ses ouvrages, et notamment dans L’apologie de Socrate, que dialoguer avec les autres, c’est-à-dire être en paix avec eux. Et ceux que Socrate interroge, regrettant d’avoir cru, l’ont pris pour ennemi et ont fini par le tuer.
En un mot, le problème dont il est question dans cet extrait d’un propos d’Alain du 5 mai 1931, est de savoir s’il faut et jusqu’où douter. Or, pour Alain il faut douter toujours dans la connaissance comme dans la vie publique. Pour justifier sa thèse, Alain distingue le doute qui consiste à se rendre compte de ses erreurs et qui fonde l’hésitation, du doute qui consiste à chercher sans relâche à fonder ce qu’on pense. Un tel doute ne peut qu’être volontaire donc premier. Il conduit à refuser toute croyance, soit la mort de l’esprit. C’est pourquoi il libère et permet d’accepter les autres sans vouloir les opprimer même au nom de leur bien.
Bonjour, très bon cométaire. Mais quelles sont les problèmes que se pose l'auteur afin de réaliser cette conclusion
RépondreSupprimerDonnez moi la structure du tette?
RépondreSupprimerC'est acceptable
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