dimanche 13 janvier 2019

Corrigé d'une explication d'un texte de Locke sur l'identité personnelle

Sujet :
Expliquer le texte suivant :
Il est difficile de concevoir qu’une chose pense sans en être consciente. Si vraiment l’âme d’un homme qui dort pense sans qu’il en soit conscient, je pose la question : ressent-elle plaisir ou douleur, est-elle capable de bonheur ou de malheur pendant qu’elle pense ainsi ? Je suis sûr que l’homme ne le peut pas, pas plus que le lit ou le sol sur lequel il repose. Car être heureux ou malheureux sans en être conscient me paraît totalement contradictoire et impossible. Ou s’il était possible que l’âme ait, dans un corps endormi, des pensées, des joies, des soucis, des plaisirs et des peines séparés dont l’homme ne serait pas conscient, qu’il ne partagerait pas, il serait alors certain que Socrate endormi et Socrate éveillé ne seraient pas la même personne : son âme quand il dort, et l’homme Socrate pris corps et âme quand il est éveillé, seraient deux personnes distinctes. En effet, Socrate éveillé n’a aucune connaissance ni aucun souci de ce bonheur ou de ce malheur que son âme seule éprouve, de son côté, tandis qu’il dort sans rien en percevoir ; il n’en aurait pas plus qu’à l’égard du bonheur ou du malheur d’un homme des Indes qu’il ne connaîtrait pas. Car si nous ôtons toute conscience de nos actions et de nos sensations, en particulier du plaisir et de la douleur, et du souci qui les accompagnent, il sera difficile de savoir où placer l’identité personnelle. 
LockeEssai sur l’entendement humain, 1690


La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question. 

Corrigé

Dans L’étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, publié en 1886, Robert Louis Stevenson (1850-1894) présente un complet dédoublement de la personnalité. Le docteur Jekyll trouve une drogue qui lui permet de se séparer de son mauvais côté mais celui-ci finira par prendre le dessus. Comment donc la même personne peut-elle ne pas être une ? Qu’est-ce donc qui fait l’identité personnelle ?
Tel est le problème que résout dans cet extrait de son Essai sur l’entendement humainde 1690 le philosophe Locke.
L’auteur veut montrer que c’est la conscience qui fait l’identité personnelle.
Après avoir soutenu que c’est la conscience qui définit l’être pensant, il conçoit une expérience de pensée pour montrer que la conscience est liée à notre identité puis le texte explique en quoi elle est constitutive de notre identité personnelle.


Locke commence par poser la difficulté à concevoir qu’une chose qui pense puisse ne pas être consciente, ce qui revient à considérer que c’est la conscience qui est constitutive de la pensée. Qu’entendre par chose qui pense ? Si nous nous examinons, nous ne pouvons douter que nous pensons. Mais nous ne pouvons douter non plus que la pensée ou conscience nous caractérise car si nous ôtons la pensée, alors nous ne voyons pas ce qui pourrait nous définir. Cette argumentation qui est celle de Descartes, notamment dans la quatrième partie du Discours de la méthode(1637), permet de comprendre ce qu’est une chose qui pense : il s’agit ni plus ni moins du sujet et de son essence. Or, qu’entendre par difficile ? S’agit-il simplement d’une opération intellectuelle qui exige de grands efforts ou s’agit-il d’une impossibilité ?
Locke se place dans l’hypothèse où l’âme pense sans qu’il y ait conscience, c’est-à-dire dans le sommeil. En effet, dans un tel état, l’homme ne dispose pas de sa conscience. Il faut exclure le rêve dans la mesure où nous n’y avons accès qu’au réveil de sorte que le rêve est plutôt le souvenir d’avoir pensé, souvenir dont rien n’indique qu’il n’est pas trompeur. Dans le pur sommeil, il n’y a nulle conscience, c’est-à-dire que le sujet ne peut rien affirmer sur lui ou sur ce qui se passe hors de lui. Une telle distinction même n’a alors pas de sens. Aussi Locke pose-t-il la question de savoir si dans cet état le sujet peut ressentir plaisir ou douleur, et celle de savoir s’il est capable de bonheur ou de malheur. Il répond négativement en comparant l’homme qui dort au sol et au lit sur lesquels il repose. Il s’agit là d’objets sans conscience. Dès lors Locke admet implicitement qu’il faut être conscient pour avoir les sentiments de plaisir et de douleur ou de pouvoir être heureux ou malheureux.
Il explique en effet qu’être heureux ou malheureux sans en être conscient lui paraît contradictoire et impossible. Comme impossible est un des sens de contradictoire, comment entendre ce double qualificatif ? S’agit-il d’un pléonasme ou bien de deux adjectifs différents ? Il serait contradictoire d’être heureux sans en être conscient si et seulement si la conscience d’être heureux appartient au bonheur comme au malheur. Or, si on entend par là en un sens très large le sentiment d’être satisfait de ce qui nous arrive et de ce que nous faisons, ou inversement de ne l’être pas, il est clair que la conscience est requise pour que le bonheur ou le malheur soit possible. On comprend donc que c’est bien contradictoire puisqu’il faudrait être conscient et ne pas l’être en même temps. Si c’est impossible, cela peut être au sens où on ne peut faire l’expérience d’un bonheur ou d’un malheur sans conscience. Pour illustrer le propos de Locke, prenons le malheur d’Œdipe. Il survient lorsqu’il prend conscience qu’il est le fils de son épouse et donc le père de ses frères et sœurs. Jusque-là, il était parfaitement heureux. L’expérience du malheur comme celle du bonheur requiert donc bien la conscience.

Reste qu’on pourrait concevoir qu’il y ait des pensées dont on n’est absolument pas conscients. Que résulterait-il de cette hypothèse ? Voilà ce que Locke examine.


Dans cette hypothèse, Locke énumère tout ce qui se passerait dans l’âme endormie qui penserait. Il y aurait en elle des pensées, des joies, des soucis, des plaisirs et des peines. Une telle énumération vise à présenter la plupart, si ce n’est toutes, des représentations dont nous sommes conscients. D’abord le terme générique de pensées, puis les joies et les soucis qui indiquent les états du sujet par rapport à ce qui lui arrivent, puis les sentiments de plaisirs et de peines qui indiquent sa sensibilité. Implicitement, on comprend que Locke considère que ces diverses représentations ne sont possibles que par la conscience. Autrement dit, pour qu’une joie ou une peine par exemple, soit ma joie ou ma peine, il faut que j’en sois conscient.
La conséquence que tire Locke de l’idée qu’il y aurait des pensées pendant qu’on dort, c’est-à-dire lorsqu’on n’est pas conscient, est qu’il y aurait alors deux personnes, à savoir Socrate éveillé et Socrate endormi. Locke utilise le nom de Socrate pour désigner une personne singulière quelconque. En effet, les pensées de Socrate éveillé sont celles dont il a conscience. Il les connaît. Il peut donc les ramener à lui. Par contre, les pensées de Socrate endormi lui sont inconnues. Il ne les connaît pas et ne peut donc pas les rapporter à lui. Dans l’hypothèse donc de pensées qui ne sont pas conscientes, le sujet ne peut les rapporter à lui. Il est clair que sinon, il y aurait contradiction. Le Socrate endormi serait une autre personne mais qui, différente, ne pourrait rapporter à elle ses pensées. Elle ne pourrait pas faute de conscience, considérer qu’elle a des pensées.
Ainsi, il en vient à manifester le rôle de la conscience dans l’identité personnelle. En effet, dans la mesure où l’hypothèse fausse pour Locke, d’une pensée sans conscience conduit à la thèse de deux personnes pour un même corps, il est clair qu’il vise à montrer que c’est la conscience qui est la condition nécessaire de l’identité de la personne. Sans elle, il peut y avoir une identité de la personne même s’il y a une identité qui est celle de l’objet. Cette dernière se produit indépendamment de toute conscience, mais l’identité de l’objet peut se défaire sans qu’il en soit conscient. Par contre, l’identité personnelle fait intervenir tout ce que le sujet lui-même peut identifier comme lui appartenant.

Reste à déterminer comment la conscience fait l’identité personnelle. Est-ce en tant qu’elle est la source de tout ce que pense ou fait le sujet que la conscience constitue l’identité personnelle ou bien est-ce parce que la conscience permet au sujet de s’identifier à travers ce qu’il fait ?


Pour montrer le rôle de la conscience, Locke poursuit son analyse de ce qui se passe dans l’hypothèse où le sujet endormi aurait des pensées dont il ne serait pas conscient. Reprenant le nom de Socrate, il remarque qu’en tant qu’il est éveillé, il ne sait rien de ce qu’il se passe chez le Socrate qui dort. Il ne peut rien savoir de son bonheur ou de son malheur, c’est-à-dire de son état général et de la tonalité de son existence. Il faut donc une présence de la conscience du sujet pour qu’il puisse déterminer tout ce qui le concerne. Et cette présence de la conscience doit appartenir aux actes ou aux pensées du sujet. Tout ce qui se passe apparemment en lui et dont il n’est pas conscient n’entre donc pas dans son identité.
Il compare cette méconnaissance qu’à l’homme de lui-même lorsqu’il est endormi à celle d’un homme qui habiterait en Inde, soit un étranger total. Le sens de la comparaison est donc la séparation totale entre le sujet et tout ce dont il n’est pas conscient même si cela concerne son corps. Or, cette comparaison pose problème. Car, s’il est vrai qu’il est impossible par définition de s’identifier avec un étranger, comment ne pas s’identifier avec cet être qui a dormi et qui se retrouve chaque matin ? En proposant cette comparaison, Locke considère donc que tout ce qui échappe à la conscience du sujet est exclu de ce qui le définit. La conscience n’a donc pas à recueillir ce qui appartient au sujet.
Si donc le fait de faire abstraction de la conscience ne permet pas de placer l’identité personnelle, c’est que c’est elle qui la constitue. Or, le rôle de la conscience consiste essentiellement à identifier les différents actes ou pensées d’un sujet. Elle ne consiste pas à se caractériser comme la source des actes et des pensées. Il n’y a dans la perspective de Locke aucune nécessité de continuité dans l’identité du sujet. En tant qu’il dort, il ne fait pas partie du sujet, de l’identité de la personne. Curieusement, l’oubli de ce qu’on a fait signifie donc que cela nous est dorénavant étranger.


Disons donc pour finir que le problème dont il est question dans ce texte de Locke extrait de l’Essai concernant l’entendement humainde 1690 est celui de savoir si la conscience joue un rôle et lequel dans l’identité du sujet. Locke montre qu’elle est essentielle. Sans elle, le sujet n’aurait pas d’identité personnelle car hors de sa conscience, il n’y a qu’objet et non sujet.

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