samedi 26 janvier 2019

Cours sur la vérité (terminales technologiques)

Ce qu’on affirme, on le tient pour vrai. Or, la diversité des croyances comme la modification des thèses scientifiques à travers l’histoire, amènent à s’interroger sur la vérité. Est-elle une idée nécessaire sous sa forme absolue ou bien peut-on s’en passer ? Et si on ne peut pas s’en passer, peut-on la connaître ?

§ 1. L’idée de vérité.
On peut tenter de se passer de l’idée de vérité de deux façons. Soit on nie la possibilité de la connaître et c’est la philosophie sceptique, soit on prétend que chacun a la sienne et c’est le relativisme ou l’anti-philosophie. C’est ce dernier qu’il importe d’abord d’examiner.

1. Le relativisme.
Par relativisme, il faut entendre la doctrine selon laquelle il n’y a aucune différence entre ce que chacun tient pour vrai et ce qui est vrai. Autrement dit, la formule du relativisme est : “À chacun sa vérité”. Il s’appuie sur la diversité des thèses soutenues. Elle ne permet pas d’affirmer qu’il y aurait sur quelque sujet que ce soit une véritable unanimité. Il est dès lors impossible d’en considérer certaines comme universelles sans les imposer aux autres. L’important est alors de convaincre au sens général du terme ou de persuader, c’est-à-dire de faire considérer comme vraie une proposition. Même les philosophes pour le relativisme sont soumis à cette situation de pure diversité.
C’est pour cela que le relativisme apparaît avec la sophistique et la rhétorique antiques. La première est une théorie et une pratique politique qui est née dans le cadre du développement de la cité grecque en rapport avec l’exigence de discuter à l’assemblée et d’élaborer des lois après discussion. La seconde est née de la pratique des tribunaux démocratiques. Après avoir un temps été marginalisées par la philosophie, elles ont connu une renaissance entre le Ier et le III° siècle après Jésus-Christ avec ce qu’on a nommé la seconde sophistique.
Néanmoins, le relativismesouffre d’une double difficulté. Soit il se présente comme absolu et prétend qu’il est vrai pour tout le monde. Or, comme il affirme en même temps que chacun a sa propre vérité, il se contredit. Soit il se présente comme relatif. Comme Platon l’a montré dans son Théétète, il doit accepter d’être faux puisqu’il doit reconnaître que celui qui le nie a raison tout autant que celui qui l’affirme. En somme, le relativisme est insoutenable. Il faut donc admettre l’idée de vérité.

2. Le scepticisme.
Reste qu’on peut avec le sceptiquenier qu’on puisse connaître la vérité. L’histoire ne présente-t-elle pas une multiplicité de théories scientifiques différentes. Montaigne se demandait dans L’apologie de Raymond Sebond (EssaisII, 12), pourquoi accepter l’astronomie nouvelle de Copernic (1473-1543) pour qui la Terre tourne sur elle-même plutôt que la thèse de l’astronomie antique pour laquelle ce sont les étoiles qui tournent autour de la Terre. En effet, la nouvelle théorie pourra être renversée par une autre argumente-t-il.
Toute prétention à la connaissance de la vérité se heurte en outre à l’impossibilité de tout démontrer. En effet, toute démonstration repose des propositions qui servent à démontrer. Si donc on veut tout démontrer, il faudra toujours remonter à de nouvelles propositions, et ainsi de suite à l’infini. C’est la raison pour laquelle dans toutes les sciences, y compris en mathématiques, on recourt à des propositions de base, les principes ou axiomes.
N’est-ce pas le cas aussi non seulement pour l’idée de vérité mais également pour la recherche de la vérité ?
En effet, s’il est vrai que, notamment dans les sciences, aucune croyance ou conviction ne doit être admise, on peut avec Nietzsche dans Le Gai Savoir, considérer qu’il n’y aurait pas eu de science possible sans croyance en la valeur de la vérité. Chercher la vérité ne peut donc se justifier. En effet, chercher la vérité présuppose qu’elle a une plus grande valeur que l’illusion ou l’erreur. Or, avant de la connaître on ne peut le savoir.
Au scepticisme théorique comme au scepticisme moral de Nietzsche on peut faire deux objections. Au premier, on peut répondre comme Descartes dans sa Lettre à Mersenne du 16 octobre 1639 que l’idée de vérité n’a pas besoin d’être démontrée. En effet, si je devais la démontrer, je ne pourrais savoir si la démonstration est vraie ou non. Par conséquent, toute démonstration présuppose l’idée de vérité. Le philosophe et c’est ce que montre Descartes ne peut qu’éclaircir la nécessité d’admettre l’idée de vérité.
Au scepticisme moral on peut répondre de même que l’affirmation de la valeur de la vérité est bien morale. Car, comment affirmer sans contradiction la valeur contraire à l’exigence du dire vrai, à savoir le mensonge ? La recherche de la vérité n’est pas du tout une simple question d’utilité mais une exigence morale. Or, comme celle-ci se préoccupe peu de l’utilité, cela montre que la valeur de la vérité ne se définit pas par l’utilité qu’on lui supposerait : elle est donc un devoir.
Il faut reconnaître que le relativisme a au moins le mérite d’attirer l’attention sur la diversité des thèses.
Quant au scepticisme, il aura toujours le mérite d’attirer l’attention sur les difficultés relatives à la vérité et donc à rendre impossible la simple affirmation de son contraire : le dogmatisme, c’est-à-dire la prétention de connaître la vérité.

§ 2. La connaissance de la vérité.
Mais peut-on connaître la vérité ? N’est-on pas contraint à affirmer l’idée de vérité et sa valeur sans pouvoir dire en quoi elle consiste ? Question en un sens double.

1. Les vérités dans les sciences.
Connaître ce qu’est la vérité n’est pas connaître les vérités. Celles-ci sont la nourriture des sciences et le philosophe en tant que philosophe ne peut connaître aucune vérité. Or, les sciences sont dans une situation particulière. Leurs vérités sont provisoires. En effet, les démonstrations sont hypothétiques, les expériences permettent tout au plus de réfuter certaines hypothèses et de montrer que d’autres hypothèses résistent mieux. On peut tout au plus dire que le progrès des sciences, c’est-à-dire l’histoire orientée vers la connaissance de la vérité, se définit comme la longue marche de l’élimination de l’erreur, voire que la vérité y est la rectification de l’erreur comme la définit Bachelard dans Le nouvel esprit scientifique(1934). À cette condition, il n’est pas absurde de parler de progrès vers la vérité même si celle-ci demeure inconnue.

2. L’essence de la vérité.
Quant à connaître la vérité, c’est-à-dire en quoi elle consiste, soit son essence, c’est ce qui n’est peut-être pas si évident qu’il n’en a l’air. Une longue tradition philosophique propose de la vérité la définition suivante : « l’adéquation entre la chose et l’intellect » selon la formule de Thomas d’Aquin dans la Somme théologique (première partie, question 16 : la vérité) ou « l’accord de la connaissance avec son objet » selon la formule de Kant dans la Critique de la raison pure (Introduction à la logique transcendantale). À cela s’ajoute l’idée que la vérité appartient à la pensée et non aux choses. C’est par métaphore que l’on parlerait d’un vrai tableau ou d’or vrai.
Or, ce supposé accord ne laisse pas d’être mystérieux. Kant faisait déjà remarquer l’impossibilité d’un critère de cet accord puisqu’il devrait être universel alors que l’accord est toujours singulier. Un critère universel de la vérité comme accord de la pensée avec son objet est donc une contradiction dans les termes.
En outre, cette définition implique un cercle ou diallèle dans la mesure où pour savoir que ma connaissance s’accorde avec son objet je ne puis m’appuyer que sur ma connaissance (cf. Kant, Logique).
En outre, si l’accord se situe entre la pensée et la chose, où se situerait la vérité ? La localiser dans la pensée est absurde puisque précisément elle serait dans l’accord. En outre, cela reviendrait à rabattre la vérité sur la simple cohérence, c’est-à-dire à faire de la raison pure la seule source de vérité. Chaque système cohérent pourrait prétendre être vrai, ce qui n’avance guère.
Être dans la vérité, c’est bien plutôt accueillir la chose telle qu’elle est, ce qui suppose qu’elle puisse se montrer différente de ce qu’elle est. Ce n’est donc nullement par métaphore qu’il est possible de dire d’une chose qu’elle est vraie. L’apparence de l’or est ce qui permet de le prendre pour autre chose. Comme Aristote en un texte difficile (Métaphysique,J, 10) l’a montré, ce qui est composé peut se montrer autre qu’il n’est alors que seul ce qui est absolument simple se montre vrai ou ne se montre pas comme tel. Or, un tableau ou de l’or sont des composés. Aussi peuvent-ils être faux et ceci sans métaphore aucune. On peut donc avec Heidegger dans Être et temps (§ 44),soutenir que la vérité n’est pas un caractère de la pensée mais appartient à ce qui est.

Si la philosophie ne peut découvrir des vérités, ce qui est l’activité propre aux sciences, il lui revient d’éclaircir ce qu’est la vérité, ce qu’est son essence. D’abord, il n’est pas possible de nier que la vérité soit. Ensuite, elle est, non pas une mystérieuse propriété de notre esprit, mais la façon dont ce qui est se manifeste à nous. Raison pour laquelle il appartient aussi à certaines choses de se masquer comme Platon en a donné l’image dans sa fameuse allégorie de la caverne qui ouvre le livre VII de sa La République.


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