jeudi 27 décembre 2018

Corrigé : La raison est-elle plus fiable que l'expérience ?

Lorsqu’on voit l’astronaute David Scott lâcher en même temps un marteau et une plume sur la lune lors de la mission Apollo XV, on ne doute pas que l’expérience permet de prouver ce qu’on ne penserait pas exact de prime abord. Reste que l’expérience demande à être conçue par la raison. Donc, la raison est-elle plus fiable que l’expérience ?
La raison est la faculté de discerner le vrai du faux. C’est sur elle donc qu’il faut compter pour découvrir et l’expérience, c’est-à-dire ce qui apparaît à nos sens extérieurs, ne peut que lui être soumise.
Toutefois, on peut raisonner et se tromper. L’expérience permet donc de tester ce que la raison propose. Elle paraît donc plus fiable, c’est-à-dire qu’il faut lui faire confiance pour déterminer ce que la raison propose.
On peut donc se demander si la raison est plus fiable que l’expérience ou non.
On verra en quoi la raison est plus fiable que l’expérience, puis en quoi elle ne l’est pas parce qu’elle repose sur l’expérience puis qu’il faut se servir de chacune pour critiquer l’autre en ce qu’aucune n’est véritablement fiable.


L’expérience ne permet pas de découvrir d’autres vérités que les particulières et les individuelles ; elle permet à peine à confirmer les vérités générales. On peut prendre l’exemple de Leibniz dans Les nouveaux essais sur l’entendement humain concernant l’alternance du jour et de la nuit en 24 heures. Si elle paraît une vérité générale dans nos climats, ce n’est pas le cas à Nova Zembla non loin de l’Arctique où la nuit peut durer plusieurs mois. L’expérience aurait pu être ici trompeuse. Elle est moins fiable que la raison qui peut confirmer des vérités universelles et nécessaires comme on le voit en mathématiques où seule la démonstration à partir de principes règne.
L’expérience n’est donc que provisoire. La raison permet de le savoir. En effet, tout ce qu’on peut dire d’une vérité générale que l’expérience confirme, c’est qu’elle est valable jusqu’à preuve du contraire. C’est pourquoi les savants multiplient les expériences pour toujours confirmer les vérités générales. De cette façon, dans l’antiquité, il y a eu de nombreuses observations pour montrer que la Terre est sphérique : sa forme arrondie dans les éclipses de Lune, les étoiles qu’on voit ou qu’on ne voit plus en allant du nord au sud (cf. Aristote, Traité du ciel, II, 14) ou les bateaux qui apparaissent progressivement à l’horizon (Strabon, Géographie, I, 20).

Toutefois, la raison, seule, ne peut pas vraiment connaître les faits. Sans l’expérience, elle ne peut que forger des hypothèses diverses et sans valeur objective. La raison doit passer par l’expérience. N’est-ce pas qu’il faut essentiellement se fier à celle-ci ?


La raison, a priori, c’est-à-dire indépendamment de l’expérience, ne peut absolument pas découvrir ce qui cause ou ce qui résulte des faits. Il lui faut passer par l’expérience, c’est-à-dire par la répétition des mêmes séries de faits. Comme le dit Hume dans l’Enquête sur l’entendement humain (1748), Adam n’aurait pu découvrir les propriétés de l’eau ou du feu en les voyant simplement. Il n’aurait pu savoir que la première peut le suffoquer et le second le consumer. C’est que d’une cause supposée, plusieurs effets sont possibles. Et si nous n’en pensons qu’un, c’est parce que justement l’expérience est ce à quoi nous nous fions. Ainsi, si je lâche un objet, il va tomber. Mais il pourrait ne pas le faire. C’est l’expérience qui m’apprend qu’il va tomber parce que jusque-là, c’est ce qui s’est passé.
Aussi est-ce l’expérience qui peut suggérer des hypothèses à la raison et donc être pour elle le principe à partir duquel elle peut déduire des conséquences. Dans tous les cas, il faut alors qu’elle puisse les tester. Il faut donc que la raison elle-même se fie à l’expérience. En effet, la répétition de la même série de faits ne prouvant pas qu’elle va se répéter, c’est bien une croyance qui finit par produire l’expérience.

Néanmoins, l’expérience peut être fautive. On ne peut donc se fier entièrement à elle. Dès lors, ne faut-il pas considérer que la raison est tout aussi peu fiable que l’expérience ?


L’expérience sert à tester les questions que la raison permet de poser. En effet, il n’y a pas d’expérience sans une question, précise ou confuse comme le montre Bergson dans La pensée et le mouvant (1934). Un fait brut est strictement incompréhensible. L’esprit ne pourrait l’appréhender. Il faut donc avoir une idée pour qu’une expérience soit possible. Et pour faire une expérience en vue de découvrir une vérité, il faut poser une question, c’est-à-dire formuler une hypothèse.
Mais comme l’expérience n’est que particulière, elle ne peut prouver définitivement. La raison ne peut donc pas se fier à l’expérience de façon absolue. Elle doit se défier aussi de sa capacité à errer sans s’en rendre compte. Ainsi, il a paru conforme à la raison et à l’expérience pendant pratiquement deux millénaires que les corps tombent d’autant plus vite qu’ils étaient plus lourds. C’est Galilée qui, au XVII° siècle, a montré que les corps tombaient tous à la même vitesse dans le vide, les différences apparentes venant de la résistance de l’air. Dans le vide, la feuille de chêne tombe aussi vite que le gland – quoiqu’Aristote ait pensé le contraire.


En un mot, le problème était de savoir si la raison est plus fiable que l’expérience ou non. Si la raison paraît plus fiable, c’est parce qu’elle permet d’atteindre des vérités universelles et nécessaires. Mais comme elle ne permet pas d’atteindre la vérité des faits, elle n’a pas la fiabilité de l’expérience. En dernière analyse, il paraît plutôt que ni la raison ni l’expérience ne sont véritablement fiables. La collaboration des deux permet seulement d’éliminer progressivement des erreurs.

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