lundi 3 décembre 2018

Explication d'un texte de Kant sur la confession

Sujet 3 : Expliquer le texte suivant :
L’homme est un être destiné à la société (bien qu’il soit aussi insociable), et en cultivant I’état de société il ressent puissamment le besoin de s’ouvrir aux autres (même sans avoir là d’intention précise) ; mais d’un autre côté, retenu et averti par la peur de l’abus que les autres pourraient faire de cette révélation de ses pensées, il se voit alors contraint de renfermer en lui-même une bonne part de ses jugements (surtout ceux qu’il porte sur les autres hommes). (...) II consentirait bien aussi à révéler aux autres ses défauts et ses fautes, mais il doit craindre que l’autre ne dissimule les siens et que lui-même puisse ainsi baisser dans l'estime de ce dernier s’il lui ouvrait tout son cœur.
Si donc il trouve un homme qui ait de bonnes intentions et soit sensé, de telle sorte qu’il puisse, sans avoir à se soucier de ce danger, lui ouvrir son cœur en toute confiance et s’accorde de surcroît avec lui sur la manière de juger des choses, il peut donner libre cours à ses pensées. Il n’est plus entièrement seul avec ses pensées, comme dans une prison, mais jouit d’une liberté dont il est privé dans la foule où il lui faut se renfermer en lui-même.
Kant, Doctrine de la vertu, 1797.

La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

Corrigé
Des Confessions de Saint Augustin à celles de Rousseau, des écrivains ont manifesté le besoin de dire aux autres ce qui les concernait. Des poires volées du futur père de l’Église au vol d’un ruban ou à l’abandon de ses enfants par Jean-Jacques, la confession ou aveu sur soi n’est pas seulement l’expression des qualités mais également des fautes. La confession peut donc se retourner contre celui qui la fait. Dès lors, on peut se demander non seulement pourquoi se dire aux autres et à quel autre faut-il se dire. Bref, à quelle condition la confession peut-elle être bénéfique ? Tel est le problème que résout Kant dans cet extrait de sa Doctrine de la vertu de 1797.
Il veut montrer qu’à la condition de trouver un ami, l’homme par la confession, se libère de lui-même.
Comment l’auteur rend-il compte du besoin de se dire aux autres ? Quels sont les obstacles à la confession qui supposent que l’on ne se confie pas à n’importe qui ? Qu’apporte-t-elle lorsqu’elle est possible vis-à-vis de l’ami ?


Pour rendre compte du besoin de se dire aux autres, Kant part du principe selon lequel l’homme a pour finalité la vie en société. Il faut comprendre par là que l’homme ne peut pas être homme hors de la société. Le terme société est quelque peu ambigu. Au sens étymologique, il désigne une alliance entre peuples ou entre les associés d’une entreprise. Or, il s’agit alors simplement de relations à d’autres en vue de son propre intérêt. On peut donc plutôt par société entendre le fait de vivre par et pour les autres. Une telle interprétation se justifie par la parenthèse où Kant concède que l’homme est aussi insociable. Par là il ne faut pas entendre qu’il ne serait pas fait pour vivre avec les autres, mais plutôt qu’en vivant avec les autres, il vit pour lui et uniquement pour lui. Autrement dit, être insociable, c’est faire passer son propre intérêt avant celui des autres ou plutôt ne tenir compte que de son intérêt sans jamais se soucier des autres.
Une fois posée le principe de la sociabilité de l’homme limitée ou plutôt contrebalancée par son insociabilité, Kant ajoute pour expliquer le besoin de se dire aux autres, que l’homme cultive l’état de société. Il faut comprendre par là qu’il prend soin, conformément à l’étymologie du terme culture, du fait même qu’il y a société et qu’il vit dans une société. Autrement dit, l’homme est amené à entretenir avec les autres des relations telles que le fait de la société se maintienne et s’approfondisse.
On comprend alors que cette culture de la sociabilité implante en l’homme un besoin impérieux de s’ouvrir aux autres. C’est ce qu’on peut appeler une confession au sens d’un aveu fait à d’autres. En effet, Kant ne parle pas de façon générale du fait de s’exprimer sur n’importe quel sujet, mais du fait de s’ouvrir. Ce qui importe alors pour celui qui parle, c’est non seulement ce qu’il dit, mais également qu’il le pense. C’est donc lui qui est en cause. Confesser peut être exprimer ce qu’on pense sur quelque chose en mettant l’accent sur le fait de le croire. C’est en ce sens qu’on peut confesser une doctrine. L’ouverture de soi aux autres, voilà ce qu’est l’aveu ou la confession.
Que ce besoin soit spécifique, soit sui generis, c’est-à-dire qu’il ne dépende pas d’autre chose, Kant le précise dans une parenthèse en indiquant qu’il peut ne pas y avoir d’intention précise à l’ouverture aux autres. C’est donc dire qu’il est possible de s’ouvrir aux autres pour cette fin là et non pour une autre comme les convaincre, les persuader, les manipuler, etc. Dès lors, la confession apparaît bien comme liée à la sociabilité et non à une autre source. Tout se passe comme si Kant semblait remettre en cause la confession au sens religieux qui trouve certes dans un autre une oreille attentive et autorisée, mais qui n’est que l’intermédiaire de Dieu, c’est-à-dire d’un autre qui sait déjà ce qu’on va dire, voire qui nous connaît mieux nous-mêmes que nous nous connaissons comme le père de l’Église, Saint Augustin, le soutenait au livre X de ses Confessions.

Or, si les hommes éprouvent le besoin de se confesser aux autres, ils devraient donc tout dire aux autres sans réticence. Tel n’est pas le cas comme l’expérience de tous les temps le montre. Comment donc se fait-il que les hommes ne se livrent pas franchement ? D’où peut provenir le manque de confiance entre eux ?


En effet, Kant explique la réticence à s’ouvrir par la peur des abus que les autres peuvent commettre à partir des confessions que le sujet peut leur faire. Pourquoi refuser de se confier ? D’où peut provenir la peur qui empêche de se confier aux autres ? Soit elle provient de l’expérience, autrement dit, la confiance trahie une fois amène le sujet à se méfier. Pourtant Kant ne dit rien d’une telle expérience. Soit elle est connue a priori, c’est-à-dire indépendamment de l’expérience, et il ne reste qu’une solution : le sujet lui-même serait près à abuser des révélations qu’autrui lui ferait. Or, s’il est vrai comme Kant le soutient que l’homme est insociable, il sait en un sens l’être et dès lors, puisque l’insociabilité c’est se servir des autres comme de moyens pour ses propres fins, chacun doit savoir qu’il est prêt à faire ce qu’il dénonce chez les autres. Avoir peur des autres est rendu possible par le fait que nous savons que les autres sont comme nous sommes.
En quoi dès lors peut consister cet abus ? Si quelqu’un me dit penser quelque chose, on ne voit pas immédiatement en quoi je peux agir contre lui à partir de ce qu’il me dit. On peut saisir ce que Kant entend par abus d’un aveu si on remarque que parmi les jugements que chacun est prêt à révéler, il y a les jugements sur les autres. Ils peuvent être cognitifs, (“elle n’est pas intelligente”) moraux (“il est menteur”) ou esthétiques (“il a de grandes oreilles”). Mais surtout, ils peuvent être négatifs pour autrui. Dès lors, un premier abus possible consiste dans la révélation de ce que quelqu’un nous a dit à propos d’un autre. Or, si on y réfléchit, que m’importe qu’on me trouve bête, méchant et laid ? En quoi puis-je être affecté de la révélation du jugement que j’ai porté sur un autre ? Là encore, c’est l’usage qui peut en être fait, car le jugement est aussi une façon d’imputer à l’autre des défauts. Or, quels qu’ils soient, ils rabaissent l’individu quant à l’opinion que l’on a de lui. En outre, on trahit ainsi la confiance de celui dont on a dit du mal à tort ou à raison dans la mesure où ce n’est pas à lui qu’on s’est adressé. On montre donc une certaine défiance à son égard. La conséquence qu’en déduit Kant, c’est que la défiance vis-à-vis des autres conduit chacun à garder en lui ce qu’il pense, notamment ce qu’il pense des autres. On comprend alors qu’il y a là une difficulté puisque cette conservation va à l’encontre du besoin de s’ouvrir aux autres qui résultent de la sociabilité de l’homme.
L’auteur ajoute une deuxième raison pour laquelle les hommes ne s’épanchent pas vis-à-vis des autres, à savoir qu’en leur indiquant leurs défauts et leurs fautes, il n’obtiendrait pas la réciproque. En effet, Kant indique que dans la crainte de l’absence de réciprocité, se confesser, se serait finalement se livrer en quelque sorte aux autres. En effet, si l’autre ne me donne pas non plus ses défauts ou ses fautes, je baisserais dans son estime. Autrement dit, il me mépriserait. On peut alors se demander pourquoi. Qu’importe ce jugement négatif sur moi-même ? Il faut croire que si on est prêt en indiquant ses défauts et ses fautes à se montrer à sa vraie valeur, moindre que l’apparence, on n’est nullement prêt à être le seul. Tout se passe comme si Kant, implicitement, remettait en cause la confession catholique qui consiste comme on sait à avouer ses fautes à un prêtre qui lui-même ne les avoue qu’à un autre, jusqu’à … Dieu. C’est que l’absence de réciprocité donne un pouvoir de l’un sur l’autre. Il ne peut y avoir de confession véritable que réciproque.
Mais pourquoi mes fautes et surtout mes défauts pourraient donner lieu à une baisse de l’estime de l’autre ? Par faute, il faut entendre une action immorale faite intentionnellement ou tout au moins par un manque de volonté. Mentir ou négliger une action méritoire sont des fautes. Un défaut, c’est le manque d’une qualité. Mais, il est clair que le défaut ne peut m’être imputé que si et seulement s’il provient en un sens de moi. Ainsi, si je ne sais pas lire parce que je n’ai pas fait l’effort nécessaire, c’est un défaut. Dès lors, l’aveu me concerne bien quant à ma valeur. C’est pour cela que l’estime de l’autre peut augmenter ou diminuer. Mais elle ne m’affecterait pas si elle n’entrait pour quelque chose dans la façon dont moi-même je peux me concevoir. Autrement dit, l’estime ou la mésestime des autres entre dans la reconnaissance que je cherche auprès des autres pour être moi-même. Ici, Kant la met sur le plan de la sociabilité.

Ainsi chacun a besoin de s’ouvrir aux autres et a peur de le faire. Comment donc sortir de cette contradiction ? Bref, à quelles conditions est-il possible de se confesser selon Kant ? Et qu’apporte finalement la confession ?


Kant propose trois conditions qui rendent positives la confession, c’est-à-dire qui permettent au sujet de se libérer en quelque sorte de lui-même.
La première condition est qu’il faut un homme qui ait de bonnes intentions, c’est-à-dire qui ne veuillent pas utiliser la confession pour ses propres fins. Cette condition est énoncée la première, est-ce à dire qu’elle l’est ? Il le faut car il est clair que cette condition qu’on peut nommer morale est absolument essentielle. Il suffit de concevoir un homme ayant de mauvaises intentions. Il est clair alors qu’il utiliserait la confession contre celui qui l’a faite.
La seconde condition est que l’homme soit sensé. Par là il faut entendre quelqu’un qui raisonne correctement dans ses matières qui sont celles de la vie sociale. En effet, on peut être un grand savant et manqué de sens dans la vie avec les autres. Or, cette condition s’ajoute à la première en ce sens que sans elle, les bonnes intentions pourraient se retourner contre les deux interlocuteurs. Ainsi, celui qui reçoit la confession ne doit-il pas se moquer de l’autre même s’il est ridicule, sans quoi il le blesserait. Il faut donc concevoir que celui qui reçoit la confession doit savoir en user à bon escient. Ainsi ne doit-il pas la révéler à n’importe qui. Qui voudrait donc se confier à un benêt ? Voilà ce que laisse entendre Kant.
Enfin la troisième condition qui apparaît comme n’étant pas nécessaire mais comme favorisant la confession est l’identité de point de vue quant à la façon de juger des choses. Le problème alors est de savoir ce que cela signifie. Il ne s’agit pas bien évidemment d’une identité d’opinions même si elle en résulte. En effet, il est possible d’avoir les mêmes opinions sans pourtant juger de la même façon. Je puis aimer lire Kant soit parce qu’il me donne à penser soit parce qu’il me permet de m’endormir plus vite. L’opinion est la même, la manière de juger ou de penser non.
Il s’agit donc d’une certaine façon de juger. Or, ce ne peut être quant à la morale puisque là, s’accorder, c’est la définition même de ce qui est bien. Comment comprendre sinon que l’on soit affecté par le jugement d’autrui sur nos défauts ou nos fautes si on ne pensait pas qu’il juge comme nous ? Il ne peut s’agir non plus du domaine scientifique où la manière de penser est strictement universelle en droit. Il ne peut être question de style en science. Dès lors, l’identité quant à la manière de penser concerne une certaine entente quant à la façon d’appréhender les phénomènes moralement indifférents. Autrement dit, il s’agit d’une question de style un peu comme dans le domaine esthétique, il y a différents style d’écriture ou de peinture, etc.
Aussi, cette troisième condition introduit-elle comme personne digne de recevoir la confession, l’ami. Par là, on entend à la fois quelqu’un avec qui règne une affection mais également une certaine identité. L’ami, c’est cet autre soi-même comme dit Aristote dans l’Éthique à Nicomaque (livre IX, chapitre 4). Or, dans l’hypothèse où l’on trouve un ami, il est alors possible de lui faire part de ses pensées et par là même de s’en libérer selon Kant. C’est donc dire que penser seul revient à s’enfermer en quelque sorte. Pourquoi donc le fait de dire à l’autre ce qu’on pense serait libérateur ? Kant l’entend bien ainsi puisque l’ami nous délivre de cet emprisonnement que nous vivrions dans la foule où nous ne pouvons nous ouvrir. La foule désigne ici à la fois le grand nombre et surtout les anonymes. Cela renforce donc notre interprétation selon laquelle seul l’autre en tant qu’ami peut être digne de confiance pour la confession.
Si donc exprimer aux autres ce qu’on pense libère, ce ne peut être qu’en tant que la pensée véritable enveloppe l’universalité. En effet, penser dans la solitude, c’est avoir une pensée qui n’a de valeur que pour soi. Dès lors, si l’homme est destiné comme Kant l’admet à être avec les autres, il est tout autant destiné à penser avec les autres ou plutôt à penser de telle sorte que les autres puissent penser comme lui. On peut l’illustrer ici avec la conception kantienne du jugement esthétique telle qu’elle se déploie dans la Critique de la faculté de juger esthétique. L’auteur en effet y distingue l’agréable du beau. Le second nous amène à exiger de l’autre qu’il juge comme nous même si nous ne pouvons le convaincre ou le persuader. C’est donc que dans notre façon de penser, l’autre en général est impliqué.
Aussi la confession, dans la mesure où elle implique un ami, permet, malgré l’insociabilité des hommes, de réaliser en un autre déterminé, cet autrui qui nous est nécessaire pour que nous puissions nous réaliser, notamment pour que nous puissions penser. Si l’autre nous permet de nous libérer de nous-mêmes, c’est parce qu’il n’y a pas de réalisation de soi dans la solitude, c’est qu’en s’exprimant, notre penser trouve sa vérité et la possibilité en étant partagé, c’est-à-dire communiqué au sens étymologique, la condition de son existence véritable.


Disons donc en guise de conclusion que Kant, dans cet extrait de sa Doctrine de la vertu, a tenté de rendre compte de la possibilité de la confession. Il est apparu qu’elle se fonde sur la sociabilité de l’homme et qu’elle trouve dans son insociabilité son obstacle.
Dès lors, pour qu’elle soit possible et qu’elle permette à chacun de véritablement penser, c’est-à-dire communiquer à l’autre sa façon même de juger des choses, des autres et de soi, il est nécessaire de trouver un ami, c’est-à-dire cet autre en qui il sera possible d’avoir confiance pour pouvoir éprouver dans leur vérité, nos pensées.






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