Introduction
La justice désigne une
institution. Elle règle les différends qui impliquent
directement ou indirectement les lois et les droits et devoirs de chacun. Elle
implique des réparations qui peuvent prendre la forme de punitions.
Formellement, la punition se distingue de la vengeance car elle suppose un
tribunal extérieur aux parties en conflit. La vengeance quant à elle est
exercée par la partie qui s’estime lésée sur la partie qu’elle croit coupable.
Une
loi est une règle fixée par un législateur. Elle peut être l’expression d’une
coutume, c’est-à-dire d’une façon habituelle de vivre qui est valorisée dans un
groupe social. Le législateur peut être différent du gouvernement ou de
l’institution judiciaire. On parle alors de séparation des pouvoirs (cf. Montesquieu,
De l’esprit des lois, livre XI,
chapitre VI).
Une
loi définit des droits et des devoirs. Par exemple, la loi qui interdit le
meurtre donne à chacun le droit de vivre et le devoir de ne pas porter atteinte
à autrui.
Toutefois,
il arrive qu’on trouve que certaines lois sont injustes. Ex : la loi qui
interdisait aux femmes de voter avant 1944 peut être considérée comme injuste.
Ex : la loi romaine qui donnait au père de famille le droit de vie et de
mort sur ses enfants quel que soit leur âge. En ce sens, la justice désigne une valeur morale à prétention universelle.
Le
problème sera de savoir si on peut penser une justice universelle qui permet de
juger les lois ou bien si la loi suffit pour définir la justice.
I. La justice non écrite.
La
justice légale, c’est-à-dire celle qui est établie par un pouvoir (législatif)
dans un pays à un moment donné, peut être injuste. Par exemple, Antigone trouve
injuste que le roi Créon (son oncle) interdise qu’on enterre son frère Polynice
(traître) alors que la cité rend hommage à son autre frère Etéocle. Elle fait
appel à la justice divine, aux lois non écrites. Elle s’appuie ainsi sur une
justice qui est toujours valable et à laquelle la justice instituée doit se
conformer. Cette justice est légitime et pas simplement légale. Mais la diversité
des religions rend impossible de s’en tenir à une conception religieuse de la
justice comme valeur morale à prétention universelle.
On
peut avec Cicéron dans les Lois
concevoir une différence entre les lois établies et la justice qui est non écrite
dans la mesure où elle est l’expression de la raison. En faveur de cette thèse,
Cicéron fait remarquer qu’il y a des actes de pouvoir tyranniques et donc
injustes. En outre, définir la justice par la légalité et l’intérêt implique de
justifier que l’individu agisse injustement si c’est son intérêt. La justice
doit donc être considérée comme une valeur par elle-même et non comme
l’expression d’un intérêt.
Enfin,
la justice peut être comptée au nombre des vertus, c’est-à-dire des
dispositions morales. Par exemple, j’ai plus d’eau que j’en aie besoin et
quelqu’un a soif. Il est juste de lui en donner au sens moral. Légalement, on
peut la lui vendre ou ne pas lui en donner. Mais la légalité se montre injuste.
Toutefois,
la difficulté réside dans le fait que la raison, quoiqu’universelle, ne nous
garantit pas que l’individu qui critique le pouvoir ne soit pas lui-même
injuste. Ne peut-on pas définir la loi sans tenir compte de la justice ?
Toutes les lois sont-elles alors valables ?
II. Loi et jeu.
Les
lois sont les commandements d’une autorité. En matière politique, ce sont les
commandements soit de la société, soit de l’État lorsqu’il existe. Souvent, les
sociétés qu’on appelle primitives ou sauvages n’ont pas d’État, c’est-à-dire
une institution séparée chargée d’exercer le pouvoir. Les coutumes commandent à
tous. Le chef ne peut punir ou commander (sauf à la guerre). Il doit permettre
la continuité du consensus.
Les
lois permettent la vie en société. On peut avec Hobbes dans le Léviathan, les comparer avec les règles
d’un jeu. En effet, pour que le jeu soit possible, il faut que les joueurs se
mettent d’accord sur les règles du jeu. Ils peuvent refuser de jouer. De même,
un homme qui vit dans une société, doit accepter les lois ou coutumes pour
pouvoir vivre ou, s’il refuse, c’est un hors-la-loi et par conséquent, il peut
être traité comme un ennemi. Il est vrai que le hors-la-loi est puni au motif
qu’il a transgressé les lois qu’il est censé avoir accepté. C’est la différence
avec l’ennemi. La punition n’interdit pas la réintégration dans la société sauf
les peines définitives (mort, perpétuité, expulsion).
On
peut alors considérer que ce sont les lois qui définissent la justice, autrement
dit que ce est légal est légitime. Une loi est alors toujours
« juste » ou plutôt elle n’est ni juste ni injuste. Par contre, si
elle empêche la vie en société, elle est mauvaise. Tel est le cas d’une loi
« tyrannique » puisqu’elle dresse une minorité contre la majorité ou
l’inverse. Par exemple, les lois de ségrégation de certains Etats du sud des
Etats-Unis étaient tyranniques.
Dans
ce cas, on peut comprendre la désobéissance civile. Hannah Arendt la distingue
de la criminalité en ce qu’elle vise à défendre publiquement les droits d’une
minorité qui s’estime lésée et qui veut le faire reconnaître à la majorité.
On
voit donc ainsi que les lois peuvent être contestées légitimement non pas parce
qu’elles sont injustes mais parce qu’elles ne sont pas bonnes. Est-il possible
d’être juste sans suivre la loi ? Est-ce que suivre la loi ne peut pas
conduire à être injuste ?
III. La jurisprudence.
On
peut distinguer la justice légale et la justice comme équité avec Aristote dans
l’Éthique à Nicomaque. La première
s’en tient à la loi. Mais celle-ci est toujours générale. Il faut comprendre par
là qu’elle pose une prescription ou une interdiction sans tenir compte des cas particuliers.
Il peut se faire que son application conduise à un résultat qui ne soit pas juste.
Par exemple, la loi interdit de prendre ce qui appartient à autrui. Or, il peut
se faire que quelqu’un possède des biens dont il n’use pas pendant qu’un autre meurt
de faim. Si le second prend ce qui appartient à l’autre, c’est un vol aux yeux de
la loi. N’est-il pas injuste de laisser mourir un homme de faim ? Thomas d’Aquin,
dans la lignée d’Aristote, soutient qu’alors il n’est pas injuste de prendre ce
qui appartient à un autre en cas de nécessité, notamment pour éviter un danger immédiat
(cf. Somme théologique, XIII°).
On
peut donc avec Aristote considérer que la justice comme équité est même supérieure
à la justice légale. Autrement dit, je peux être juste en n’exerçant pas tous mes
droits. Supposons que je dispose d’eau et que les autres ont soif. J’ai le droit
de vendre cette eau, voire de la vendre d’autant plus cher qu’elle est plus rare :
c’est la justice légale. Mais ce sera injuste du point de vue moral. Par contre,
si je donne l’eau dont je n’ai pas besoin, je serais équitable au sens d’Aristote.
La
justice est aussi amenée à se prononcer en l’absence de loi. On peut donner comme
exemple un cas célèbre de décision jurisprudentielle : le lancer de nains.
Il s’agit d’une attraction qui consiste à lancer un nain casqué et protégé sur
un matelas. Le maire de la commune de Morsan-sur-Orge (Essonne) a interdit ce
spectacle donné dans une discothèque par un arrêt daté du 25 octobre 1991. Le propriétaire
de l’établissement de nuit et le nain ont obtenu que l’arrêt soit cassé par le tribunal
administratif le 25 février 1992. Le tribunal considérait que le maire n’avait pas
de raison d’interdire l’activité. La bataille juridique s’est achevé devant le
conseil d’État (l’équivalent de la cour de cassation pour la justice
administrative) par un arrêt daté du 27 octobre 1995 qui a interdit cette pratique
au nom du principe de la dignité de la personne humaine, composante de l’ordre public
que le maire doit faire appliquer. On voit donc en quoi la loi ne suffit pas à définir
ce qui est juste.
Bilan
S’il
y a une justice indépendante de la loi, c’est moins celle qui consiste à se
poser comme universelle et seule légitime que dans le travail de la
jurisprudence qui corrige la justice légale, voire qui permet d’inventer des
lois susceptibles de permettre aux hommes de vivre le mieux possible en
société, voire de vivre le mieux possible entre sociétés différentes.
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