dimanche 22 décembre 2019

Corrigé de Popper sur le relativisme et le pluralisme critique

Sujet.
Expliquer le texte suivant :
Je voudrais aussi opposer au relativisme une idée presque toujours confondue avec celui-ci mais qui lui est pourtant profondément étrangère. J’ai souvent désigné cette position sous le nom de pluralisme, mais cela n’a pas été sans ambiguïté. C’est pourquoi je veux ici la qualifier de pluralisme critique. Tandis que le relativisme, qui ressort d’une tolérance laxiste, conduit au règne de la violence, le pluralisme critique lui peut contribuer à la maîtrise de la violence.
Pour ce qui est de la construction du relativisme et du pluralisme critique, le concept de vérité est d’une importance décisive.
Le relativisme est la position selon laquelle on peut tout affirmer ou presque tout, et par conséquent rien. Tout est vrai, ou rien ne l’est. La vérité est alors sans signification.
Le relativisme critique est la position selon laquelle dans l’intérêt de la vérité chaque théorie – tant mieux si elles sont nombreuses – doit entrer en concurrence avec d’autres. Cette concurrence consiste dans la discussion rationnelle des théories et leur examen critique. La discussion est rationnelle, cela signifie que l’enjeu est la vérité des théories en concurrence : la théorie qui semble se rapprocher le plus de la vérité dans la discussion critique est la meilleure ; et la meilleure théorie évince les plus mauvaises. L’enjeu est ici la vérité.
L’idée d’une vérité objective et l’idée d’une recherche de la vérité sont ici d’une importance décisive.
Popper, Tolérance et responsabilité intellectuelle (1981)

La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

Corrigé.
L’impossibilité de connaître la vérité conduit à penser qu’elle est relative. Or, soutenir que la vérité est relative paraît absurde puisqu’on en affirme l’existence tout en la niant. Comment donc concilier l’idée de vérité avec celle d’une recherche dont rien ne permet de penser qu’elle peut aboutir ?
Tel est le problème que résout Popper dans cet extrait de Tolérance et responsabilité intellectuelle de 1981. Le philosophe soutient que c’est le pluralisme critique qui admet que les différentes théories doivent lutter pour chercher la vérité qui permet de penser contre le relativisme sans tomber dans le dogmatisme qui prétend connaître la vérité.
Popper montre d’abord la différence entre relativisme et pluralisme critique sur le plan politique puis analyse le relativisme sur le plan théorique avant de lui opposer le pluralisme critique.


Popper annonce d’abord qu’il veut opposer le relativisme à une autre idée qu’on confond avec lui alors que, selon l’auteur, les deux sont tout à fait différentes l’une de l’autre. Le relativisme étant l’idée que des opinions diverses voire contradictoires sont toutes vraies, une idée qui lui est proche doit donc comporter une diversité d’opinions qui passent pour vraies. On comprend que Popper puisse rappeler qu’il avait nommé cette thèse ou position le pluralisme. Or, il oppose à cette nomination l’ambiguïté que ce terme suscite. Autrement dit, il donne à penser la même chose que le relativisme. Il en déduit sa décision d’une nouvelle appellation, à savoir celle de pluralisme critique, expression soulignée dans le texte pour indiquer qu’elle est l’objet de la réflexion. On doit donc comprendre que la dimension critique, c’est-à-dire d’examen de la vérité, est ce qui distingue le relativisme de la position que soutient Popper.
Il distingue alors les deux positions sur le plan politique. Il affirme que le relativisme est caractérisé par une « tolérance laxiste ». Il faut entendre par tolérance l’acceptation de croyances diverses. Dire qu’elle est laxiste signifie qu’elle laisse toutes les idées s’exprimer, même celles qui ne devraient pas le pouvoir. Or, en matière politique, les idées qui méritent de ne pas pouvoir s’exprimer sont celles qui sont contraires à la possibilité même d’un ordre politique. La tolérance est consubstantielle à la démocratie, régime où la liberté de parole est la plus importante. Ainsi Socrate affirme-t-il à Polos dans le Gorgias (461e) de Platon qu’Athènes est la cité de Grèce où règne la plus grande liberté de parler. Mais si les idées qui visent la destruction de la démocratie ont libre cours, celles qui appellent aux coups, aux meurtres, bref, à la violence, il est clair que la tolérance se retourne contre elle-même et laisse la place à la violence.
Popper lui oppose le pluralisme critique qui peut selon lui contribuer à maîtriser la violence. Pourquoi donc ? Le relativisme accepte l’expression de toutes les idées considérées comme équivalentes. Dès lors, la seule possibilité de trancher entre des idées opposées, c’est la violence lorsqu’elle est le principe même qui accompagne certaines positions politiques ou religieuses. C’est au nom d’une certaine idée du prophète que des islamistes ont décimé la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo. Le pluralisme critique quant à lui implique que les idées, quoique diverses, peuvent et doivent être critiquées. Dès lors, il implique de ne pas tolérer l’expression de la violence comme principe de règlement des différends. Il ne peut accepter une tolérance laxiste. En outre, dans la mesure où il préconise la critique, il permet une certaine maîtrise de la violence dans la mesure où il fait de la discussion le principe de règlement des conflits.

S’il y a bien une opposition entre relativisme et pluralisme critique sur le plan politique en ce que le second paraît éminemment préférable au premier dans la mesure où il est compatible avec une politique qui ne soit pas une guerre de tous contre tous, il semble pourtant identique quant à leur rapport à la vérité. Dès lors, Popper est-il fondé à considérer qu’ils sont vraiment étrangers l’un à l’autre ?


En effet, Popper considère que le concept de vérité est ce qui permet de comprendre la construction du relativisme et du pluralisme critique. On comprend dans un premier temps que le relativisme et le pluralisme critique ont un rapport à la vérité. L’un et l’autre en effet semble la concevoir comme multiple. De ce point de vue, loin de se distinguer, le relativisme, et ce que Popper nomme le pluralisme critique paraissent identiques. Ils semblent s’opposer à l’idée d’une vérité absolue, unique, la même pour tous et pour tous les objets quels qu’ils soient. Si donc le concept de vérité est fondamental, c’est apparemment en un sens négatif pour eux.
Tel est le bien le cas du relativisme. En effet, Popper le définit de deux façons : d’une part comme la thèse selon laquelle on peut tout affirmer, autrement dit on peut tout considérer comme vrai et d’autre part selon la thèse qu’on peut presque tout considérer comme vrai. Les deux définitions sont logiquement incompatibles puisque dans le second cas, il y aurait au moins une thèse qui ne serait pas vraie. Or, le relativisme lui-même prétend être vrai pour tous. On comprend alors que la deuxième définition est une sorte de correction de la contradiction qui est celle du relativisme quand il s’affirme simplement. Mais immédiatement, Popper déduit de sa définition que le relativisme est la position selon laquelle rien n’est vrai. Et une telle déduction est valable pour les deux définitions du relativisme. Pour la première en tant qu’elle implique que toutes les propositions étant vraies, dans la mesure où elles se contredisent, cela implique bien qu’aucune ne l’est, c’est-à-dire qu’elles sont tout aussi bien fausses. Pour la seconde, elle excepte au moins la thèse relativiste mais implique bien que toutes les propositions que nous affirmons habituellement quand nous ne réfléchissons pas à la vérité sont fausses.
Popper en déduit en une formule la relation du relativisme à la vérité, à savoir que tout y est vrai ou que rien ne l’est. L’alternative respecte la logique de la vérité, à savoir qu’une proposition est vraie ou fausse. Mais elle montre en même temps que cette alternative est perpétuelle. À la différence de l’idée de vérité qui implique que si une proposition est vraie, elle ne peut pas être fausse et réciproquement, le relativisme implique bien plutôt que toute proposition peut recevoir indifféremment l’une ou l’autre des valeurs. Popper en déduit à juste titre que la vérité n’a alors aucune signification. En effet, pour qu’un terme ait un sens, il est nécessaire qu’il conserve le même sens. La vérité dans le relativisme a le même sens que son opposé. Elle n’en a donc aucun.

Ainsi l’importance de la vérité pour le relativisme consiste paradoxalement à ce que ce concept n’a aucune signification. Autrement dit, le relativisme a une relation négative à l’idée de vérité. En va-t-il de même du pluralisme critique ?


Popper définit le relativisme critique (nouvelle expression pour « pluralisme critique » comme le contexte le montre suffisamment) comme une thèse qui se préoccupe en priorité de la vérité. En quoi s’agit-il d’un relativisme et non d’un dogmatisme, c’est-à-dire la position selon laquelle on peut connaître la vérité, voire on la connaît ? Popper considère que le pluralisme critique ou relativisme critique implique comme son nom l’indique qu’il y ait une pluralité de théories, c’est-à-dire d’explications différentes des phénomènes. Et plus cette pluralité est importante, meilleure c’est selon Popper. On peut donc dire que pour l’auteur, la diversité des théories constitutive du relativisme appartient aussi au relativisme critique. Quant à la relation entre les théories elle est celle de la concurrence, c’est-à-dire d’un conflit qui vise pour chacune à triompher. On doit donc comprendre qu’il s’agit pour chacune des théories de montrer qu’elle est la vraie. Or, si tel est le cas, il n’y aurait plus pluralisme mais dogmatisme. Par contre, si on en restait à une simple pluralité, on tomberait dans le scepticisme entendu comme la thèse qui s’argumente rationnellement selon laquelle il est impossible de connaître la vérité, voire de savoir même s’il y a de la vérité.
Aussi Popper définit-il la concurrence entre théories constitutive du relativisme critique comme étant régie par la discussion rationnelle et l’examen critique. Par discussion rationnelle on doit entendre une discussion qui apporte des raisons en faveur d’une théorie et non à l’instar des rhéteurs et des sophistes qui apportent des arguments qui s’appuient sur des sentiments, désirs ou opinions communes. C’est Socrate qui a montré comment devait se conduire une discussion rationnelle qui vise à éprouver la solidité de thèses sans se préoccuper de leurs effets ou de la question de savoir qui parle. Par examen critique, il faut entendre le fait de chercher à montrer qu’une théorie est fausse. Par exemple, Galilée (1564-1642) a réfuté la théorie d’Aristote selon laquelle les corps tombent d’autant plus vite qu’ils sont plus lourds. En fabriquant des plans inclinés qui éliminent la résistance de l’air, Galilée a montré qu’un corps tombe à la même vitesse que tout autre quel que soit son poids (qu’il ne distinguait pas encore de la masse). Lors de l’expédition d’Apollo 15 en 1971, l’astronaute David Scott (né en 1932) laissa tomber en même temps une plume et un marteau qui tombent en même temps pour tester à nouveau la théorie d’Aristote.
Pour préciser en quoi la discussion est rationnelle, Popper dit que son enjeu est la vérité. Aussi la théorie qui s’approche le plus de la vérité selon lui est la théorie la meilleure. Or, comment savoir qu’une théorie s’approche de la vérité si on ne la connaît pas ? Pour savoir qu’un point est plus proche qu’un autre d’un point donné sur une carte, j’ai besoin de connaître ce dernier. Il faut donc comprendre que la théorie réputée la plus proche de la vérité est celle qui résiste à la discussion rationnelle et l’examen critique, autrement dit, celle dont on n’a pas pu montrer jusque là qu’elle est fausse. Mais comme on ne peut savoir si elle est la vraie théorie, le pluralisme critique exige en même temps que d’autres théories concurrentes apparaissent et demeurent pour que la discussion rationnelle et l’examen critique ne s’arrêtent pas. Un peu comme Socrate qui, ayant découvert qu’il était le plus sage des hommes parce qu’il ne croyait pas savoir ce qu’il ne savait pas, continuait à toujours interroger (cf. Platon, Apologie de Socrate). Dès lors Popper peut dire que ce qui importe c’est à la fois la vérité une et absolue, comme dans le dogmatisme et contrairement au scepticisme, mais également la recherche de la vérité qu’on ne connaît pas comme dans le scepticisme au sens étymologique d’examen et contrairement au dogmatisme.


Disons pour conclure que le problème dont il est question dans cet extrait de Tolérance et responsabilité intellectuelle paru en 1981 de Popper, était celui de savoir si, lorsqu’on admet la diversité des points de vue sur la vérité, une seule attitude, le relativisme qui détruit toute signification à la vérité, est possible. Popper montre justement qu’il y a une autre position qu’il nomme tour à tour pluralisme critique et relativisme critique selon laquelle la recherche de la vérité est fondamentale, qui en admet donc l’idée, tout en convenant qu’elle n’est pas connue. Elle est cherchée en admettant l’irréductible pluralité des théories qui doivent chercher par la raison à s’éliminer et ainsi à toujours maintenir vivante l’exigence de la vérité.

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