dimanche 15 décembre 2019

Corrigé d'une dissertation : L'art fait-il rêver ou fait-il réfléchir ?

Devant une œuvre d’art, on oublie les tracas quotidiens, les soucis. On la regarde, on la lit ou l’écoute et nous sommes comme transportés dans un autre monde. Autrement dit, l’art fait rêver.
Pourtant, lorsqu’on assiste à une représentation de L’avare (1668) de Molière par exemple, on croit reconnaître certains défauts de nos contemporains, voire les nôtres. Dès lors l’art fait plutôt réfléchir.
On peut donc se demander si l’art fait rêver ou s’il fait réfléchir, voire l’un et l’autre.


L’art fait rêver. Car comme le rêve, il présente une image de la réalité. Et cette image, nous y adhérons comme dans le rêve, voire la rêverie, cet état éveillé où nous ne nous occupons pas des réalités quotidiennes. Et l’artiste est bien un rêveur en ce sens qu’il fait abstraction des soucis de la vie pour en montrer une image qui, finalement, satisfait nos désirs. Dans ses Vénus, Titien (1488-1576) nous montre un certain idéal de la beauté féminine. Même la tragédie ressemble à un rêve comme le cauchemar qui se finit bien au sens où, spectateur, nous finissons par sortir du rêve.
On peut même avec Platon, dans La République, dire qu’à l’instar de la peinture, l’art donne une représentation de l’apparence de la réalité. Dès lors, comme le rêve, les images de l’art ne correspondent pas à la réalité. Par exemple les montagnes glacés ruisselant d’eau dans la Sainte Anne, la Vierge et l’enfant Jésus (~1510) de Léonard sont un paysage imaginaire. C’est pourquoi, de même que dans le rêve, on croit en ce qu’on croit voir, de même un tableau peut tromper un enfant ou un ignorant selon Platon.

Toutefois, devant un tableau, au théâtre, on sait qu’on a affaire à une image et dès lors, il ne s’agit pas simplement de rêve où on ignore généralement qu’on rêve. Dès lors, l’art ne fait-il pas plutôt réfléchir ?


L’art fait réfléchir. On peut dire avec Hegel dans l’Esthétique, que l’art répond au besoin spécifiquement humain de s’extérioriser pour prendre conscience de soi. Dès lors, une œuvre d’art nous coupe de nos soucis quotidiens mais pour mieux nous faire prendre conscience de l’essentiel de l’humain. Car réfléchir, c’est prendre du recul avec ce qu’on se représente, recul absent du rêve qui est bien plutôt adhésion à l’apparence.
Et c’est bien ce que permet l’œuvre d’art. Le tableau que je contemple me montre une image de la réalité qui m’apparaît en tant que tel. Dans la vie courante, je ne peux pas voir pour voir, mais je vois pour faire ou consommer. L’image que propose l’œuvre d’art permet donc la réflexion sur soi de l’homme, bref, elle lui permet de se connaître. Le théâtre le montre, notamment le théâtre comique qui nous montre nos défauts et nous permet d’y réfléchir.

Reste que l’œuvre d’art n’est pas la seule à nous permettre de nous connaître. On ne peut donc dire simplement qu’elle nous fait réfléchir. Peut-elle faire rêver et réfléchir à la fois ? N’est-ce pas absurde si le rêve et la réflexion s’opposent ?


En créant des situations imaginaires, l’œuvre d’art fait bien rêver. Mais la rêverie qu’elle propose conduit également à réfléchir sur notre condition. L’avantage, c’est qu’elle nous propose toujours une situation singulière : un héros tel Œdipe aux prises avec un destin cruel. Même la musique nous amène à nous représenter des situations et donc de pouvoir y réfléchir.
En fait, le rêve implique à la fois la coupure vis-à-vis de la réalité et qu’on la représente. L’œuvre d’art exige que l’action soit interrompue. C’est pour cela que l’œuvre d’art nous fait rêver. Et justement, elle permet ainsi de réfléchir.
Face à une toile, une pièce, je peux m’évader. Mais cette évasion est la condition pour que je puisse réfléchir, soit prendre du recul sur l’homme concret et sa condition et à se poser des questions sur la réalité de l’homme. Ainsi lorsque je regarde un tableau de Léonard comme sa Sainte Anne, je puis simplement m’arrêter à la douceur maternelle qui s’y exprime ou aller à la signification religieuse et ainsi m’interroger sur la condition humaine.


Disons donc pour finir que nous nous sommes interrogés sur la question de savoir si l’art nous fait rêver ou s’il nous fait réfléchir. Parce qu’il nous coupe de la réalité il nous fait rêver. Mais parce qu’il représente l’homme, il nous fait réfléchir. Et il fait l’un grâce à l’autre dans la mesure où il crée des images de l’homme qui l’amène moins à se connaître qu’à s’interroger sur soi.

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