Dans la fable de Jean de La Fontaine, Le loup et l’agneau (Fables, I, 10, 1668), qui commence par la moralité : « La raison du plus fort est toujours la meilleure », un loup argumente contre un jeune agneau et lui présente des arguments que son interlocuteur réfute jusqu’à ce qu’il le dévore. Il apparaît qu’il a tort. Or, peut-on savoir qu’on a raison ?
Il semble que qui a cherché des preuves de ce qu’il avance sait ainsi qu’il a raison comme le savant. En effet, il peut s’appuyer sur les preuves pour assurer de la vérité de son propos.
Cependant, on voit souvent des interlocuteurs se disputer, chacun croyant avoir raison et ayant peut-être tort tous les deux.
Dès lors, on peut se demander s’il y a quelque chose en nous qui nous permet de savoir que nous avons raison ou bien s’il faut renoncer à savoir que nous avons raison.
Est-ce la raison qui nous permet de savoir que nous avons raison ? Est-ce plutôt le cœur ou le sentiment ? Ou bien est-ce ni l’un ni l’autre ?
Dans la mesure où l’on voit dans les débats les interlocuteurs être persuadés qu’ils ont raison, il est clair qu’on ne peut s’en tenir à la croyance pour savoir qu’on a raison. C’est que la croyance peut être vraie ou fausse alors que le savoir est nécessairement vrai comme Socrate le montre à son interlocuteur dans le Gorgiasde Platon. Aussi, la simple conscience d’avoir raison ne suffit pas. Comment la raison peut nous permettre de savoir qu’on a raison ?
Il faut outre cela, savoir qu’on a raison, c’est-à-dire avoir des preuves que ce qu’on avance est valable. Et les preuves suffisent pour savoir qu’on a raison même si notre interlocuteur use de mauvais arguments, voire de la force. C’est ainsi que Galilée (1564-1642), grâce à sa lunette astronomique (1610), pouvait soutenir l’héliocentrisme (une Terre en mouvements autour d’elle-même et du Soleil) parce qu’il expliquait mieux les phases de Vénus que le système géocentrique (une Terre immobile autour de laquelle tourne le Soleil et les autres planètes) qui, lui, ne l’expliquait pas. En effet, pour ce dernier, Vénus qui tourne autour de la Terre comme le Soleil, doit apparaître toujours comme un croissant. Dans le système héliocentrique, Vénus apparaît parfois en croissant, parfois pleine. Galilée savait qu’il avait raison en donnant tort à la conception traditionnelle qui venait de l’Antiquité et que l’Église avait fait sienne. Sa condamnation repose donc sur de mauvaises raisons que l’Église a partiellement admise en 1992.
Cependant, les preuves qui nous donnent raison ne sont pas elles-mêmes prouvées. S’il fallait le faire, il faudrait prouver à l’infini, c’est-à-dire jamais. Dès lors, ne faut-il pas pour savoir qu’on a raison s’appuyer aussi sur le sentiment, c’est-à-dire sur une forme de croyance ? Comment une croyance pourrait-elle être un savoir ?
Si on ne s’appuie que sur la raison, on ne peut finalement rien savoir, puisqu’une démonstration doit reposer sur des principes premiers sans quoi il faudrait démontrer à l’infini. Aussi est-il nécessaire de s’appuyer sur des principes non démontrables. On doit donc croire en ces principes premiers. Dès lors, pour savoir qu’on a raison, non seulement, il n’est pas toujours nécessaire de prouver ce qu’on avance, mais on peut le savoir immédiatement. Comment s’assurer alors qu’on n’est pas dans une croyance déraisonnable ?
On peut donc avec Pascal dans les Pensées (110, Lafuma) considérer qu’on peut s’appuyer sur la connaissance que nous donne le cœur ou le sentiment des premiers principes et seulement d’eux. En effet, partout où on peut démontrer, on ne doit pas se contenter de la croyance en tant qu’elle repose sur un sentiment. Il faut donc prouver ou démontrer. C’est ainsi qu’en sciences, on cherche à prouver le plus possible. Mais c’est bien sur le cœur qu’on doit s’appuyer pour savoir qu’on a raison, c’est-à-dire qu’on peut s’assurer de la vérité de ce qu’on pense. C’est ainsi qu’on sait qu’on a raison de penser qu’on ne rêve pas. Ou encore qu’on a raison de faire confiance à un ami, voire de faire une bonne action lorsqu’il est urgent d’agir. Et Pascal va jusqu’à considérer qu’on a alors raison de croire en Dieu comme la religion le permet.
Néanmoins, les croyances ne sont pas universelles comme la religion et même si elles le sont dans certains cas, ce n’est pas suffisant pour s’assurer de leur vérité. Dès lors, ne doit-on pas bien plutôt ne s’appuyer ni sur la raison ni sur le sentiment ? Est-ce à dire qu’on doit renonce à savoir qu’on a raison ?
Le savoir n’est jamais définitif. C’est pour cela qu’on ne peut positivement savoir qu’on a raison. Il faut si on veut savoir ne plus croire comme Alain le soutient dans un de ses Propos sur la religion (1938). Dès lors, il faut douter toujours, même de ce qui a été établi comme vrai et donc douter des premiers principes. Dès lors, pour savoir qu’on a raison, il faut examiner. Ce n’est donc pas en se disant j’ai raison ou en défendant un point de vue qu’on peut savoir qu’on a raison, mais au contraire, en le remettant en cause. Or, si l’on doute totalement, cela ne rend-il pas impossible le savoir et donc le savoir qu’on a raison ?
En réalité, le doute est rendu possible par le fait de suggérer des possibilités d’explication différentes comme Russell le montre dans ses Problèmes de philosophie. Ainsi, il permet de rejeter les croyances. Or, ce sont elles qui nous induisent en erreur ou, parce qu’elles peuvent être vraies, qui nous conduisent à croire que nous avons raison sans le savoir. Dès lors, qui remet en cause une croyance sait qu’il a raison de la remettre en cause comme croyance. Savoir qu’on a raison, ce n’est donc pas savoir que ce qu’on dit est vrai, mais c’est savoir que la démarche qui est la nôtre est la bonne pour découvrir la vérité.
En un mot, le problème était de savoir s’il y a quelque chose en nous qui nous permet de savoir que nous avons raison ou bien s’il faut renoncer à savoir que nous avons raison. Si posséder un savoir semble impliquer de savoir qu’on a raison, il est impossible de refuser, comme le savoir s’appuie sur des principes admis, que la croyance qui provient du sentiment permette de savoir qu’on a raison pour les dits principes. Aussi, comme la croyance est finalement toujours discutable, on peut savoir qu’on a raison en remettant en cause toutes les croyances, toutes les connaissances établies, au sens où on sait que la démarche que l’on adopte est la condition pour rechercher la vérité.
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