dimanche 8 décembre 2019

Corrigé d'une explication de texte de Spinoza sur la crédulité et la superstition

Sujet.
Si les hommes avaient le pouvoir d’organiser les circonstances de leur vie au gré de leurs intentions, ou si le hasard leur était toujours favorable, ils ne seraient pas en proie à la superstition. Mais on les voit souvent acculés à une situation si difficile, qu’ils ne savent plus quelle résolution prendre ; en outre, comme leur désir immodéré des faveurs capricieuses du sort les ballotte misérablement entre l’espoir et la crainte, ils sont en général très enclins à la crédulité. Lorsqu’ils se trouvent dans le doute, surtout concernant l’issue d’un événement qui leur tient à cœur, la moindre impulsion les entraîne tantôt d’un côté, tantôt de l’autre ; en revanche, dès qu’ils se sentent sûrs d’eux-mêmes, ils sont vantards et gonflés de vanité. Ces aspects de la conduite humaine sont, je crois, fort connus, bien que la plupart des hommes ne se les appliquent pas (…) En effet, pour peu qu’on ait la moindre expérience de ceux-ci, on a observé qu’en période de prospérité, les plus incapables débordent communément de sagesse, au point qu’on leur ferait injure en leur proposant un avis. Mais la situation devient-elle difficile ? Tout change : ils ne savent plus à qui s’en remettre, supplient le premier venu de les conseiller, tout prêts à suivre la suggestion la plus déplacée, la plus absurde ou la plus illusoire ! D’autre part, d’infimes motifs suffisent à réveiller en eux soit l’espoir, soit la crainte. Si, par exemple, pendant que la frayeur les domine, un incident quelconque leur rappelle un bon ou mauvais souvenir, ils y voient le signe d’une issue heureuse ou malheureuse ; pour cette raison, et bien que l’expérience leur en ait donné cent fois le démenti, ils parlent d’un présage soit heureux, soit funeste.
Spinoza, Traité théologico-politique (anonyme 1670)

Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que le texte soit d'abord étudié dans son ensemble.


QUESTIONS :

1) Dégagez la thèse principale du texte et les étapes de son argumentation.
2) Expliquez :
a) « leur désir immodéré des faveurs capricieuses du sort les ballotte misérablement entre l’espoir et la crainte »
b) « Si, par exemple, pendant que la frayeur les domine, un incident quelconque leur rappelle un bon ou mauvais souvenir, ils y voient le signe d’une issue heureuse ou malheureuse. »
3) Toute croyance est-elle un effet de l’incertitude ?


Corrigé
Croire qu’un miroir brisé apporte le malheur ou que le vendredi 13 est un jour de chance font partie de ces superstitions dont les hommes sont friands. Comment en rendre compte ?
Tel est le problème dont traite cet extrait du Traité théologico-politique de Spinoza paru de façon anonyme en 1670.
Le philosophe veut montrer que si les hommes croient ainsi à des futilités, la cause en est leurs désirs et les circonstances qui rendent difficiles leur réalisation.
Est-ce à dire que toute croyance est un effet de l’incertitude ?


1) Dégagez la thèse principale du texte et les étapes de son argumentation.
Spinoza veut montrer que la crédulité des hommes vient de leurs désirs et des circonstances difficiles où ils peuvent les réaliser.
Le philosophe commence par poser des conditions qui rendraient impossible la crédulité, à savoir d’une part que les hommes puissent régir les circonstances de leur vie ou d’autre part que le hasard leur soit toujours favorable. Chacune des conditions suffit pour qu’il n’y ait pas de superstition, c’est-à-dire de croyances en des signes favorables ou défavorables par rapport à la réalisation de nos désirs dans la mesure où ils dépendent de la réalité extérieure.
À ces conditions Spinoza oppose les conditions réelles qui permettent la superstition. La première est que les hommes vivent dans des difficultés telles qu’ils ne sont pas capables de se décider. La seconde condition réelle est que les hommes ont des désirs sans limites de ce qui ne peut leur être apporté que par le sort ou le hasard, ce qui les amène à osciller entre la crainte et l’espoir. De ces deux conditions Spinoza en déduit la crédulité humaine, c’est-à-dire l’aptitude à croire n’importe quoi, même ce qui est absurde. C’est ce qui explique la superstition.
Il montre les hommes dans les situations de doute et de désir fort et vif. Ils sont alors conduits à adhérer pour le moindre motif à une idée ou une autre, c’est-à-dire à ce qui confirme leur espoir ou leur crainte et ceci d’autant plus que l’événement répond plus à ce dont ils ont envie. Il leur oppose les hommes dans des situations de certitude. Dans ce dernier cas, ils se prévalent de qualités qu’ils n’ont pas. Il fait remarquer que ce qu’il propose est bien connu, qu’il y a là des aspects de la conduite humaine, c’est-à-dire que tous les hommes sont ainsi. Il concède que cette connaissance, les hommes ne se l’appliquent pas à eux-mêmes.
Il explique cette thèse en s’appuyant sur l’expérience de chacun. Tout homme peut observer que c’est lorsque le sort est favorable, soit en « période de prospérité », que les autres hommes, intellectuellement les plus faibles s’attribuent une sagesse qu’ils ne possèdent pas. Le ton ironique de Spinoza se continue lorsqu’il avance que ce serait une injustice que de leur donner un avis. Comprenons que c’est ce qu’ils pensent, à tort. Il oppose à cela les mêmes hommes dans une situation difficile. Ils sont alors près à suivre n’importe qui et à croire n’importe quoi. Pour montrer à quel point les hommes ont des croyances peu croyables, Spinoza qualifie la croyance quelconque, en utilisant un superlatif de quantité, de « déplacée », c’est-à-dire de peu appropriée à la situation, d’« absurde », c’est-à-dire de contraire à la réalité et d’« illusoire », c’est-à-dire de purement imaginaire. Il ajoute que l’espoir et la crainte vont être suscités par des motifs sans aucune importance. Il l’illustre par l’exemple d’un incident qui, associé à un souvenir, va conduire à y voir le signe d’un événement favorable au désir s’il s’agit d’un bon souvenir et d’un événement défavorable, s’il s’agit d’un mauvais souvenir.

2)
a) Lorsque Spinoza écrit des hommes que « leur désir immodéré des faveurs capricieuses du sort les ballote misérablement entre l’espoir et la crainte », il indique la cause principale de la crédulité des hommes. En effet, tout désir vise à se réaliser. Or, certains désirs ne peuvent être réalisés par celui qui désire mais c’est la réalité extérieure qui le permet. Et elle n’est pas toujours favorable sans être nécessairement toujours défavorable. D’où l’idée de sort. Sort qui peut être bon si le désir est satisfait, mauvais dans le cas contraire. Si donc on ne sait pas si la réalité extérieure va nous permettre de voir nos désirs réalisés, et si ces désirs sont forts et vifs, on oscillera entre l’espoir, c’est-à-dire une attente favorable et la crainte, une attente défavorable dans la mesure où notre esprit est orienté par notre désir.

b) Spinoza, lorsqu’il écrit « Si, par exemple, pendant que la frayeur les domine, un incident quelconque leur rappelle un bon ou mauvais souvenir, ils y voient le signe d’une issue heureuse ou malheureuse. », veut montrer comment les hommes croient en des superstitions. Ainsi, il pose l’hypothèse d’un état de frayeur qui domine les hommes. Dans ce cas, si un incident qui survient produit un souvenir, bon ou mauvais, les hommes voient dans ce souvenir un signe d’une réalisation favorable ou défavorable de ce qu’ils désirent pour se sortir de la frayeur. Dès lors, le contenu du souvenir devient donc ce qui annonce l’événement positif ou négatif même s’il n’a aucun rapport avec lui.

3) Toute croyance est-elle un effet de l’incertitude ?
Selon Spinoza, c’est parce que les hommes sont dans des situations d’incertitude par rapport à certains de leurs désirs qu’ils sont crédules, c’est-à-dire qu’ils ont des croyances dans lesquelles ils ne devraient pas croire.
Or, l’idée de croyance, c’est celle d’une certitude subjective qui s’oppose au doute.
Dès lors, toute croyance est-elle un effet de l’incertitude ?


Les hommes peuvent avoir des croyances tout en étant sûrs d’eux-mêmes. C’est ce que montre l’analyse par Spinoza des hommes imbus d’eux-mêmes. Il montre ironiquement qu’ils n’écoutent même aucun conseil. Ce n’est donc pas tant l’incertitude qui produit la croyance que la situation où sont les hommes. En effet, lorsque leur situation est bonne, ils sont certains d’eux-mêmes et en même temps ont des croyances.
Pourtant, un simple changement produit le doute. N’est-ce pas qu’il y a de l’incertitude à la racine de la croyance ?

En réalité, la certitude que les hommes ont dans de bonnes situations porte sur eux-mêmes plutôt que sur leur croyance que n’importe quelle situation peut changer. Aussi y a-t-il bien de l’incertitude à la racine de la croyance même si elle n’est pas un doute complet. C’est que la croyance est une pseudo sagesse comme le montre l’ironie de Spinoza. Qui sait véritablement est dans une certitude qui s’appuie sur des preuves. Qui croit ne peut pas ne pas savoir qu’il n’a pas de preuve de ce qu’il avance de sorte qu’il ne peut pas ne pas toujours en même temps douter de sa croyance.
Néanmoins, l’incertitude où est celui qui croie ne suffit pas pour faire naître la croyance ? Cette incertitude ne tient-elle pas fondamentalement aux désirs qu’ont certains hommes ?

On voit donc que c’est plutôt dans les situations où les hommes dépendent du sort extérieur qu’il y a incertitude. Or, pour que de telles situations soient possibles, il faut que les hommes aient certains désirs. Qui désire apprendre les mathématiques ne dépendra pas du sort. Par contre, qui désire être riche, admiré, etc. dépendra du sort, c’est-à-dire de l’adéquation ou non entre ses désirs et la réalité extérieure, y compris social. Dès lors, les hommes qui ont de tels désirs vont croire pour combler la situation d’incertitude où ils sont. Telle est la source de la superstition.


Disons pour conclure que Spinoza a montré, dans cet extrait du Traité théologico-politique paru anonymement en 1670, que la superstition provenait des situations où les hommes désirent fortement ce qui dépend du sort et donc, incertains, se laissent aller à croire en de mystérieux signes, pour apaiser leurs craintes.
Le philosophe montre donc implicitement que c’est en changeant nos désirs que nous pouvons vaincre la superstition en nous.


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