jeudi 5 décembre 2019

Corrigé d'une explication de texte de Kant sur l'éducation et la contrainte

Sujet
L’homme doit de bonne heure être habitué à se soumettre aux prescriptions de la raison. Si en sa jeunesse on laisse l’homme n’en faire qu’à sa volonté et que rien ne lui est opposé, il conserve durant sa vie entière une certaine sauvagerie. Et il ne sert en rien à certains d’être en leur jeunesse protégés par une excessive tendresse maternelle, car plus tard ils n’en rencontreront que plus de résistances et ils subiront des échecs dès qu’ils s’engageront dans les affaires du monde. C’est une faute habituelle dans l’éducation des princes que de ne jamais leur opposer dans leur jeunesse une véritable résistance, parce qu’ils sont destinés à régner. Chez l’homme, en raison de son penchant pour la liberté, il est nécessaire de polir sa rudesse ; en revanche chez l’animal cela n’est pas nécessaire en raison de l’instinct.
KantRéflexions sur l'éducation (1803)

Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que le texte soit d’abord étudié dans son ensemble.

QUESTIONS

1) Dégagez l’idée principale du texte et les étapes de son argumentation.
2)
a) Expliquez : « il conserve durant sa vie entière une certaine sauvagerie ». Pourquoi ?
b) Pourquoi est-ce une faute, dans l'éducation des princes, « de ne jamais leur opposer dans leur jeunesse une véritable résistance » ?
3) Une éducation sans contrainte est-elle possible ?


Corrigé
[Ce texte de Kant est extrait des Réflexions sur l’éducation, ouvrage publié en 1803 qui reprend son cours relatif à la pédagogie et qui a été publié par Rink, un disciple.
Dans le cours du devoir, j’indique les numéros des questions pour montrer une façon de composer le devoir. Dans une rédaction, ils ne devraient pas apparaître. Aussi sont-ils entre crochets.]

Il n’y a pas de culture sans éducation, c’est-à-dire sans que l’enfant ne soit formé pour vivre en société. L’éducation cependant a-t-elle seulement une signification sociale ? Ne doit-elle pas avoir une fin plus importante ? Ne doit-elle pas en quelque sorte contraindre l’homme à devenir lui-même. Telle est le problème que Kant résout dans ce texte extrait des Réflexions sur l’éducation de 1803.
[1)] Il veut montrer qu’amener le plus tôt possible l’enfant à obéir aux règles de la raison en quoi consiste l’éducation est la condition pour en faire un humain véritable.

L’extrait commence par l’énoncé de la thèse selon laquelle il faut accoutumer l’enfant dès son plus jeune âge à suivre de lui-même ce que la raison dicte. Kant énonce ensuite deux suppositions qui nient cette thèse. D’une part il suppose qu’on laisse un homme n’en faire qu’à sa tête comme on dit familièrement. D’autre part il suppose qu’aucun obstacle ne lui est opposé. Il en déduit qu’il gardera une certaine sauvagerie.
[2) a)] Comment comprendre que l’absence d’éducation fasse qu’ « il conserve durant sa vie entière une certaine sauvagerie » ? Pourquoi ? Conserver, suppose qu’on possède déjà. Kant sous-entend donc que l’homme naît sauvage. Si l’on suit la métaphore végétale, il faut comprendre que l’homme à la naissance n’est pas encore comme il devrait être. Mais s’il s’agit d’une certaine sauvagerie, c’est dire que cet homme hypothétique apprend nombres de choses, sauf obéir. Dès lors la sauvagerie qui est la sienne consiste à ne pas obéir aux règles de la raison, donc suivre ses désirs. La raison en est finalement donnée à la fin de l’extrait. L’homme n’a pas d’instinct qui le régule. Il a un penchant à la liberté qui l’amène à combattre toute règle et donc à affronter les autres.
[1) (suite)] Kant précise le second membre de sa supposition en prenant le cas de ceux qui sont protégés de tout par leur mère. Une telle tendresse lui paraît excessive. Il en donne deux raisons. La première est qu’ils ne sauront pas contournés les obstacles de la vie sociale. Car il n’y a pas de sociabilité sans obéissance à des règles. La première règle de la raison est donc justement d’obéir aux règles sociales. La seconde raison est qu’ils auront des échecs dans leur vie sociale. Par conséquent, il s’agit pour Kant de montrer que l’absence d’éducation au sens de l’obéissance aux règles de la raison est néfaste pour la société. Est-ce à dire que la fin de l’éducation est seulement la société ? Nullement !
En effet, Kant prend le cas de l’éducation des princes. Il relève que leur éducation est le plus souvent fautive parce que jeunes, on ne leur oppose aucune résistance. La raison en est que les princes une fois adultes, doivent régner.
[2) b)] On peut se demander alors pourquoi est-ce une faute, dans l’éducation des princes « de ne jamais leur opposer une véritable résistance » ? Car, s’ils doivent régner, les éducateurs n’ont-ils pas raison de commencer à leur obéir pour qu’ils ne se vengent pas par la suite ? Or, un prince non éduqué gardera donc une certaine sauvagerie, c’est-à-dire qu’il se comportera comme un tyran vis-à-vis de ses sujets. Dès lors, dire que c’est une faute, c’est dire que le prince doit respecter ses sujets, c’est-à-dire les considérer comme des êtres libres. Si donc chacun, y compris le prince, respecte les prescriptions de la raison, chacun sera libre s’il le fait volontairement et comme les prescriptions de la raison sont les mêmes pour tous, personne ne dominera les autres. Il est donc clair que pour Kant, éduquer, ce n’est pas seulement adapter l’individu à la société car sinon il n’y aurait pas besoin d’éduquer les tyrans. Éduquer c’est permettre à l’homme d’accéder à l’humanité, c’est-à-dire à une vie libre avec les autres. Obéir à la raison, c’est donc respecter les autres en tant qu’ils sont eux aussi doués de raison.
[1) (suite et fin)] C’est pourquoi l’auteur finit par une remarque sur la différence entre l’homme et l’animal. Le premier possède une tendance à la liberté alors que le second possède l’instinct. Le comportement du premier n’a donc pas la régularité et l’adaptation du second. Dès lors, ce penchant à la liberté implique une opposition entre hommes. Kant en déduit qu’il faut donc amener l’homme à ne pas s’opposer aux autres et donc lui apprendre à ne pas être brutal. Il lui oppose l’animal qui n’a pas besoin d’éducation puisque l’instinct lui dicte ce qu’il doit faire.

[3)] Il semble donc que l’homme, au départ sauvage, doive être éduqué, ce qui implique de s’opposer à ce qu’il veut au départ. L’éducation semble impliquer la contrainte.
Pourtant, éduquer, c’est nous dit Kant amener l’homme à être libre, c’est-à-dire à agir en obéissant de lui-même à la raison.
Pour lui, une éducation sans contrainte est-elle possible ?

Éduquer, c’est nécessairement amener un enfant à faire ce qu’il ne fait pas spontanément. Et Kant attribue à l’enfant un penchant à la liberté qui implique que si on le laisse faire ce qu’il veut, il restera sauvage. Donc pour lui ôter toute sauvagerie, il faut lui imposer une volonté étrangère, à savoir celle de son éducateur. En ce sens, il y a nécessairement de la contrainte dans l’éducation.
Toutefois, ce n’est pas n’importe quelle volonté qu’on impose à l’enfant, mais les prescriptions de la raison. Dès lors, n’y a-t-il pas un sens qui nous permette de penser qu’une éducation sans contrainte est possible selon Kant ?

En effet, puisqu’il s’agit d’apprendre à l’enfant à obéir à la raison et puisque l’enfant est doué de raison, finalement il s’agit d’apprendre à l’enfant à s’obéir à lui-même. Or, la contrainte n’est rien d’autre que de s’opposer aux désirs ou à la volonté d’autrui. En amenant l’enfant à obéir à la raison on ne le contraint pas, on l’amène à vouloir ce qu’il doit vouloir pour être lui-même. Éduquer n’est donc pas contraindre mais prendre soin de l’être afin qu’il se développe comme il doit se développer.
Cependant, l’enfant a des désirs qui ne sont pas nécessairement en accord avec ce qu’il doit vouloir. La contrainte n’est-elle pas selon Kant inéluctable ?

Éduquer pourrait être un jeu si les désirs de l’homme s’accordaient spontanément avec les prescriptions de la raison. Or, justement Kant relève une certaine rudesse native de l’homme. Donc, ses désirs, joints à son penchant à la liberté, impliquent bien plutôt que l’homme originellement a une volonté qui n’est pas conforme à la raison. C’est pourquoi une éducation doit user de contrainte pour s’opposer à la volonté qui n’est pas conforme à la raison et amener la volonté à vouloir la seule raison.

Disons donc pour finir que Kant a voulu montrer en quoi l’éducation qui doit user d’une certaine contrainte, c’est-à-dire s’opposer à l’homme tel qu’il naît, libre et sauvage, est une nécessité pour lui permettre d’être humain, c’est-à-dire d’être capable de douceur avec ses semblables, d’être capable de librement obéir à sa raison qui le définit en tant qu’homme, en un mot à l’autonomie.


1 commentaire:

  1. Explique cette phrase : chez l'homme en raison de son penchant par la liberté il est nécessaire de polir sa rudesse en revanche chez l'animal cela n'est pas nécessaire en raison de l'instinct

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