samedi 28 décembre 2019

Corrigé d'une dissertation : Peut-on croire à ce qu'on sait ne pas être vrai ?

On constate que certaines croyances perdurent alors que ceux qui les propagent ne peuvent pas ne pas savoir pertinemment qu’elles ne sont pas vraies. Or, peut-on croire à ce qu’on sait ne pas être vrai ?
En apparence, cela paraît absurde car, croire, c’est tenir pour vrai ce qu’on ne sait pas de sorte que si on sait que quelque chose n’est pas vraie, on ne peut pas le croire.
Néanmoins, croire repose sur autre chose que la raison de sorte qu’il n’est pas impossible que ce sur quoi repose la croyance fasse écran au savoir et rende possible de croire en ce qu’on sait ne pas être vrai.
On peut donc se demander s’il est possible de penser sans contradiction qu’on peut croire à ce qu’on ne sait pas être vrai.
Le savoir véritable détruit la croyance, mais elle résiste au savoir lorsqu’elle est une croyance commune et plus encore en tant qu’elle a sa source dans l’affectivité.


Croire, c’est tenir pour vrai une proposition ou un fait. Mais au sens étroit ou précis, c’est tenir pour vrai ce qu’on ne sait pas, c’est-à-dire ce pour quoi on n’a pas de preuve. La conscience de l’absence de preuve s’exprime parfois par l’expression « je crois que … » qui exprime l’absence de certitude objective. Savoir que quelque chose n’est pas vrai, c’est donc avoir une preuve que la proposition ou le fait n’est pas vrai. Par exemple, je sais qu’il n’est pas vrai que la Terre est un disque plat car sinon, on ne verrait pas de vaisseau apparaître ou disparaître à l’horizon selon l’argument de Strabon (65 av. J.-C.-23 ap. J.C.) dans sa Géographie. Je ne peux donc croire que la Terre est un disque plat. Je ne peux même rien croire à propos de la Terre puisque j’ai un savoir la concernant. Or, comme il n’y a pas de certitude objective dans la croyance, n’est-il pas possible de conserver sa croyance malgré les preuves du contraire ?
Il ne faut pas confondre croire et conjecturer. En effet, qui émet une hypothèse ou conjecture n’y croit pas : il sait que sa proposition peut être fausse comme vraie ou que le fait n’est pas avéré. Il n’est pas impossible lorsqu’on sait qu’une proposition n’est pas vraie de penser que d’autres preuves encore inconnues pourront remettre en cause ce savoir. Par contre, celui qui croit tient pour vrai ce qu’il croit. Si donc il sait que ce n’est pas vrai, il ne peut y croire en même temps car sinon, ce serait bien une contradiction directe. C’est pourquoi un savoir qui repose sur une preuve détruit une croyance, à la condition que ce savoir contredise explicitement la croyance. Dès lors, elle n’est pas possible. Par exemple, je ne peux pas croire que Pierre est mon ami et savoir qu’il m’a trahi, c’est-à-dire avoir la preuve qu’il a agi contre moi, ce qui est savoir qu’il n’est pas vrai qu’il est mon ami.

Toutefois, si savoir que quelque chose n’est pas vrai, proposition ou fait, détruit formellement la croyance, on peut estimer que la croyance repose sur autre chose que les preuves. Dès lors, ce sur quoi elle repose n’est-il pas susceptible de la conserver malgré le savoir du contraire ?


Croire, ce n’est pas tenir pour vrai sans motif. En effet, lorsqu’on n’a pas de preuves, il faut des motifs pour croire. Il y a dans les croyances un arrière-fond culturel qui en explique la force. C’est que, comme Tocqueville l’a fait remarquer dans De la démocratie en Amérique (première partie, 1835), pour qu’il y ait société, il faut des croyances communes, des croyances dogmatiques auxquelles tout le monde se réfère sans les discuter. Ce sont de telles croyances qui sont indéracinables même si on sait par ailleurs qu’elles ne sont pas vraies. En effet, leur source n’est pas la froide raison qui examine et cherche le vrai pour le distinguer du faux. Elle est dans ce qui nous lie aux autres. Or, comment donc sont possibles ces croyances communes ?
On peut avec Alain, dans Mars ou la guerre jugée, LXIX (1921) considérer que les opinions communes sont celles qui se forment par le dessaisissement de soi au profit de ce que pensent les autres. Ainsi dit-il, les hommes du peuple s’enquièrent de ce que pensent les hommes de l’élite comme les hommes politiques qui, quant à eux, s’enquièrent de ce que le peuple pense. Chacun veut donc soutenir ce que les autres soutiennent. Ainsi la croyance commune se manifeste sous la forme du « on dit que … ». Dès lors, la croyance commune est acceptée parce que commune. Savoir par ailleurs grâce à des preuves que ce dont il est question dans la croyance commune n’est pas vrai ne change pas les motifs qui nous font adhérer à une croyance commune. Ainsi les anciens savaient bien qu’il n’était pas vrai que les planètes tournent de façon circulaire autour du Soleil car les observations ne concordaient pas avec ce modèle. Et pourtant, ils ont presque unanimement soutenu que tel était leur mouvement tant la croyance à l’importance du mouvement circulaire faisait partie des croyances communes.

Cependant, on trouve des croyances qui résistent au fait de savoir que ce n’est pas vrai qui ne sont pas simplement culturelles ou qui ne reposent pas sur les exigences sociales. N’est-ce pas que la croyance se trouve essentiellement dans l’affectivité de l’individu ?


Une croyance n’est pas fondée sur la raison. C’est que la raison en tant qu’elle cherche la vérité exclut la croyance. Elle peut accepter seulement des hypothèses. On peut certes voir dans la vie sociale une des sources de la croyance. Mais il y a des croyances qui ne sont pas simplement celles de tous. Or, dans la mesure où elle ne repose pas sur la raison, la croyance repose sur l’affectivité. C’est en ce sens que Bachelard a opposé l’opinion à la science dans La Formation de l’esprit scientifique (1938). La première selon lui traduit des besoins en termes de connaissance. C’est pourquoi savoir que quelque chose n’est pas vrai ne suffit pas pour qu’une croyance disparaisse. On peut donc croire ce qu’on sait ne pas être vrai. On comprend ainsi pourquoi de nombreuses croyances demeurent alors qu’elles ne reposent sur rien, voire qu’elles sont manifestement fausses. Ainsi en va-t-il de cette croyance que les femmes conduisent mal alors qu’elles commettent moins d’accident. Mais comment l’affectivité organise la croyance ?
C’est que savoir qu’une proposition n’est pas vraie, ce n’est pas simplement savoir qu’elle est fausse, c’est surtout savoir qu’il n’est pas possible qu’elle soit vraie parce qu’elle n’a aucune possibilité de l’être. Ainsi, Bachelard rapporte dans La Formation de l’esprit scientifique la croyance qu’on trouve au XVIII° siècle encore selon laquelle les mines d’or ou d’argent peuvent reconstituer leur minerai par la reproduction si on les laisse se reposer à tel point qu’une mine peut donner plus d’or ou d’argent que son volume de départ. Il est clair qu’une telle croyance trouve dans le besoin de richesse sa source. Et un tel besoin est tellement fort qu’il s’oppose à ce qu’on sait ne pas être vrai, à savoir que le minerai se reproduit comme les lapins (à supposer le préjugé sur les lapins).


En un mot, le problème était de savoir s’il est possible de croire à ce qu’on ne sait pas être vrai. Or, formellement, une croyance est détruite par le savoir de sorte qu’on ne peut pas croire ce qu’on sait ne pas être vrai. Pourtant, les croyances communes qui permettent de vivre en société expliquent partiellement qu’on puisse croire à ce qu’on sait ne pas être vrai car elles ont une autre source. Mais c’est surtout dans l’affectivité que réside la source de la croyance. Aussi peut-on sans contradiction croire ce qu’on sait ne pas être vrai parce que ce qui nous fait croire, ce à quoi on aspire, n’est pas ce qui nous fait savoir, c’est-à-dire la pure raison.


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