lundi 16 décembre 2019

Corrigé d'une dissertation : Croire nous empêchent-ils de chercher la vérité ?

On se réfère souvent au refus de l’Église d’admettre le mouvement de la Terre, voire à l’image émouvante du vieux savant Galilée [1564-1642], à genoux, jurant sur la Bible que la Terre est immobile et à la légende du mot qu’il aurait chuchoté : « E pur si muove ! » (« Et pourtant elle tourne ! »), pour montrer que la croyance nous empêche de chercher la vérité.
Croire, c’est-à-dire, accepter une idée sans preuves, voire sans avoir même cherché des preuves, paraît effectivement être un obstacle à la recherche de la vérité, c’est-à-dire à la représentation de ce qui est. En effet, celui qui croit détenir la vérité ne peut la chercher puisqu’il pense qu’il la possède déjà.
Pourtant, il est clair qu’on peut être un chercheur et en même temps croire. Tel a été le cas par exemple de Blaise Pascal.
Dès lors, on peut se demander si croire nous empêche nécessairement de chercher la vérité ou s’il y a certaines conditions qui permettent de croire et de chercher la vérité.
Croire, empêche toujours de chercher la vérité, sauf si le sujet de la recherche diffère de ce en quoi on croit, alors qu’en refusant de croire en la vérité absolue, on peut chercher sans croire.


Croire empêche de chercher la vérité parce qu’on pense la détenir et donc on n’a même pas l’idée de la chercher. Le montrent les différents mythes qu’on trouve chez les différents peuples, mythes qui bloquent toute recherche physique ou astronomique. Qui croit comme les paysans russes dont parle Tchekhov (1860-1904) dans son Platonov (posthume 1921) que la Terre repose sur des baleines a peu de chances de chercher quelle en est la forme. Comme Socrate le montre au jeune Alcibiade le personnage éponyme d’un dialogue de Platon, les ignorants, c’est-à-dire ceux qui croient savoir ce qu’ils ne savent pas, ne cherchent pas auprès de ceux qui savent la connaissance. En effet, ceux qui savent ne cherchent pas. Quant à ceux qui ne croient pas savoir, ils ne peuvent que chercher à savoir si, bien sûr, ils en ont besoin. En quoi croire en général est-il un obstacle à la recherche de la vérité ?
En outre, croire empêche d’examiner sereinement car, croire implique nécessairement de se satisfaire de ce qu’on pense, d’adhérer à une idée ou de faire confiance en quelqu’un sans avoir besoin d’examiner. Même ceux qui expriment leur croyance en prétendant qu’elle n’est qu’une simple croyance, qu’elle n’est donc pas sûre, ne l’abandonne pas. Car, lorsqu’on ne sait pas, on devrait ne pas donner son assentiment, mais rester dans le doute, mais un doute réel qui ne se prononce pas pour telle ou telle idée. On ne devrait donc pas dire « je crois que … » mais « je ne sais pas ». Dès lors, croire entraîne de ne pas chercher la vérité dans la mesure où elle exige qu’on s’interroge sur ce qui nous permet d’affirmer ou de nier telle ou telle idée. Le savant qui cherche la vérité fait passer à ses hypothèses des tests sévères alors que celui qui croit s’en tient paresseusement à son idée, voire accepte comme preuves de simples approximations.

Cependant, s’il fallait ne pas croire pour pouvoir chercher la vérité, il est clair qu’on ne pourrait en aucune façon même commencer à réfléchir. Dès lors, comment est-il possible de croire et de chercher la vérité ?


Comme le montre Tocqueville dans De la démocratie en Amérique (1835 ; 1840), il est impossible à quiconque de construire seul tout le savoir. Aussi est-il nécessaire de croire si on veut chercher la vérité, plus précisément de croire beaucoup. Les idées auxquelles on croit sont celles que les autres, contemporains ou prédécesseurs, ont apportées. Ainsi, un savant ne reprend pas le savoir au début. Il s’appuie sur ce que les autres ont admis jusque-là. De même, il faut bien faire confiance aux autres dans la multiplicité des actes de la vie quotidienne qui sont la condition de la recherche. Le savant acceptera de croire dans les vertus du matériel qu’il utilise, dans la réalité de ce qu’il fait, etc. Comment croire ne bloque-t-il pas la recherche de la vérité ?
C’est que croire en quelque chose n’interdit pas de rechercher sur un autre sujet. La recherche de la vérité porte toujours sur une question particulière. On recherche la vérité concernant le mouvement ou non de la Terre ou encore sur la présence ou non de montagnes et de cratères sur la Lune. Dans ce cas, on peut croire tout ce qu’on veut sur d’autres sujets : l’essentiel est de ne pas croire sur la question. Ainsi, les partisans d’Aristote pour qui la Lune était par définition un astre parfaitement circulaire refusait au nom de leur idée d’accepter le témoignage de la lunette astronomique de Galilée en 1610 lorsqu’il publia Le messager des étoiles (Sidereus Nuncius). L’un des adversaires jésuites de Galilée a donc accusé la lunette astronomique qu’utilisait le savant italien de créer des illusions. Par contre, le savant italien dont les connaissances en optique étaient insuffisantes, a cru, quant à lui, dans la vérité du témoignage de ses sens modifié par la lunette, ce qui lui permit nombre de découvertes inattendues comme quatre satellites de Jupiter.

Toutefois, le fait de croire dirige implicitement les recherches. Croire peut être un obstacle indirect. Le savant qui croit, le philosophe qui croit, accorderont plus de poids à ce qui va dans le sens de leur croyance qu’à ce qui s’y oppose. Si donc il faut des points de départ, comment est-il possible de rechercher la vérité ? Ne faut-il pas justement ne pas croire en la vérité ?


Croire implique d’accepter la vérité absolue. C’est bien ce qui caractérise la croyance religieuse. Aussi ne peut-elle que s’opposer à la science lorsque cette dernière semble la contredire sur quelques points que ce soit. Hier, c’était parfois l’héliocentrisme, aujourd’hui, c’est pour certains la théorie de l’évolution. Au contraire, la science n’a pas besoin de la vérité absolue. Elle peut se contenter de cette vérité que Russell dans Science et religion (1935) appelle « technique » qui consiste non pas à la considérer comme la représentation absolue de la réalité, mais comme approchant du réel en fonction des capacités à expérimenter. Aussi, les théories auxquelles elle arrive ne sont pas tenues absolument pour vraies, mais tenues pour vraies provisoirement. C’est donc le doute qui domine. Et un doute qui ne peut se concilier avec la croyance. Pour le savant, ses pensées sont vouées à être remplacées par d’autres qu’il ne connaît pas encore. Mais comment pourrait-il se passer de croire ?
Si la science comme recherche de la vérité technique n’a pas besoin de croyances, c’est-à-dire d’assentiment donné de confiance à certaines représentations, c’est parce qu’elle s’appuie sur des expériences techniques qui se caractérisent par leur efficacité. Elle peut être améliorée de sorte que les expériences ne sont pas définitives. Elles impliquent un certain doute et une sorte de refus de croire de principe. Ainsi voit-on l’abandon de médicaments qui donnaient satisfaction, soit parce qu’ils ont des effets indésirables trop nombreux, soit parce que des médicaments plus efficaces apparaissent. De même, des théories sont abandonnées au moins dans certains contextes sans difficultés dès lors qu’elles ne donnent pas satisfaction. Le savant n’y croyait donc pas. Dès lors, les théories sur lesquelles il s’appuie ont fait leur preuve et la font toujours grâce aux réalisations techniques qu’elles rendent possibles et forment ainsi l’arrière-plan d’une recherche de la vérité qui n’a pas de fin.


Disons donc pour finir que le problème était de savoir si croire nous empêche nécessairement de chercher la vérité. On a vu en quel sens croire s’oppose à la recherche de la vérité et donc est un obstacle à une telle recherche dans la mesure où c’est toujours l’illusion de penser qu’on possède la vérité. Et pourtant, il n’est pas possible de toujours tout chercher de sorte que croire paraît indispensable et possible parce qu’on peut croire certaines choses et en chercher d’autres. Reste que croire bloque aussi indirectement la recherche. Aussi, la recherche de la vérité est facilitée si on refuse de croire en la vérité absolue au profit de l’acceptation de la vérité technique qui change en fonction des progrès dans la recherche.


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