La guerre (Polemos), est le père
de toutes choses, de toutes le roi ; et les uns, elle les porte à la
lumière comme dieux ; les autres, comme hommes ; les uns elle les
fait esclaves, les autres, libres.
Héraclite (535-475 av. J.-C.), Fragments, fragment 53. Paris, PUF, 1998. 1ère édition 1986.
La guerre est affaire
d’importance vitale pour l’État ; la province de la vie et de la
mort ; la voie qui mène à la survie ou à l’anéantissement.
Sun Tzu, L’art de la
guerre (VI° siècle av. J.-C. ?)
Le devoir d’un sage est assurément d’éviter la guerre.
Cassandre, in Euripide (480-406 av. J.-C.), Troyennes (415 av. J.-C.), v.400.
Mais la guerre, en faisant
disparaître la facilité de la vie quotidienne, enseigne la violence et met les
passions de la multitude en accord avec la brutalité des faits.
Thucydide (460-395 ? av. J.-C.), Histoire de la guerre du Péloponnèse, III, 82, traduction Jean
Voilquin, Garnier frères, 1966, p.223.
Brigandage, capture d’esclaves,
tyrannie et guerre en général, nous ferons de tout cela une seule espèce, qui
sera la chasse violente.
Platon (~428-~347 av.
J.-C.), Le Sophiste, 222c.
Quant au temps dont tu me parles,
où tout naissait de soi-même pour l’usage des hommes, il n’appartient pas du
tout au cours actuel du monde, mais bien, comme le reste, à celui qui a
précédé. Car, en ce temps-là, le dieu commandait et surveillait le mouvement de
l’ensemble, et toutes les parties du monde étaient divisées par régions, que
les dieux gouvernaient de même. Les animaux aussi avaient été répartis en genres
et en troupeaux sous la conduite de démons, sorte de pasteurs divins, dont
chacun pourvoyait par lui même à tous les besoins de ses propres ouailles ;
si bien qu’il n’y en avait point de sauvages, qu’elles ne se mangeaient pas
entre elles et qu’il n’y avait parmi elles ni guerre ni querelle d’aucune sorte ;
enfin tous les biens qui naissaient d’un tel état de choses seraient infinis à
redire. Mais, pour en revenir à ce qu’on raconte de la vie des hommes, pour qui
tout naissait de soi-même, elle s’explique comme je vais dire. C’est Dieu
lui-même qui veillait sur eux et les faisait paître, de même qu’aujourd’hui les
hommes, race différente et plus divine, paissent d’autres races inférieures à
eux. Sous sa gouverne, il n’y avait ni Etats ni possession de femmes et
d’enfants ; car c’est du sein de la terre que tous remontaient à la vie,
sans garder aucun souvenir de leur passé. Ils ne connaissaient donc aucune de
ces institutions ; en revanche, ils avaient à profusion des fruits que
leur donnaient les arbres et beaucoup d’autres plantes, fruits qui poussaient
sans culture et que la terre produisait d’elle-même. Ils vivaient la plupart du
temps en plein air sans habit et sans lit ; car les saisons étaient si
bien tempérées qu’ils n’en souffraient aucune incommodité et ils trouvaient des
lits moelleux dans l’épais gazon qui sortait de la terre. Telle était, Socrate,
la vie des hommes sous Cronos. Quant à celle d’aujourd’hui, à laquelle on dit
que Zeus préside, tu la connais par expérience. Maintenant, serais-tu capable
de décider laquelle des deux est la plus heureuse, et voudrais-tu le dire ?
Platon (~428-~347 av.
J.-C.), Le politique, 271c-272b.
L’étranger. – Mais à cet art si
savant et si important qu’est l’art de la guerre en son ensemble, quel autre
art nous aviserons-nous de lui donner pour maître, sinon le véritable art
politique ?
Socrate le jeune. – Nous ne lui en donnerons pas d’autre.
L’étranger. – Nous n’admettrons donc pas que la science des
généraux soit la science politique, puisqu’elle est à son service ?
Socrate le jeune. – II n’y a pas d’apparence.
Platon (~428-~347 av.
J.-C.), Le politique, 305a.
10 Quand tu marcheras sur une
ville pour l’attaquer, tu l’inviteras d’abord à la paix. 11 Alors, si elle te
répond dans le sens de la paix et t’ouvre ses portes, tout ce qu’elle renferme
d’habitants te devront tribut et te serviront. 12 Mais si elle ne compose pas
avec toi et veut te faire la guerre, tu assiégeras cette ville. 13 Et l’Éternel,
ton Dieu, la livrera en ton pouvoir, et tu feras périr tous ses habitants mâles
par le tranchant de l’épée. 14 II n’y aura que les femmes, les enfants, le
bétail, et tout ce qui se trouvera dans la ville en fait de butin, que tu
pourras capturer; et tu profiteras de la dépouille de tes ennemis, que
l’Éternel, ton Dieu, t’aura livrée. 15 Ainsi procéderas-tu pour toutes les
villes situées très loin de chez toi, qui ne font point partie des villes de
ces nations ; 16 mais dans les villes de ces peuples que l’Éternel, ton
Dieu, te donne comme héritage, tu ne laisseras pas subsister une âme. 17 Car tu
dois les vouer à l’extermination, le Héthéen et l’Amorréen, le Cananéen et le
Phérézéen, le Hévéen et le Jébuséen, comme te l’a commandé l’Éternel, ton Dieu,
18 afin qu’ils ne vous apprennent pas à imiter toutes les abominations commises
par eux en l’honneur de leurs dieux, et à devenir coupables envers l’Éternel,
votre Dieu.
La Bible, Ancien testament,
Deutéronome, Chapitre XX
Une guerre n’est juste que si on
la fait après avoir revendiqué son droit, ou si elle est annoncée d’avance ou
déclarée.
Cicéron (106-43 av.
J.-C.), Traité des devoirs (~44 av.
J.-C.), I, XI, 36.
Tous ceux qui tireront le glaive périront par le glaive.
La Bible, Nouveau testament,
Évangile selon Matthieu, XXVI, 52.
Le désir de nuire, la cruauté de
la vengeance, les transports d’une animosité implacable, la fureur de la
révolte, la passion de dominer, et autres choses semblables, voilà ce qu’on
blâme avec raison dans les guerres. »
Augustin (354-430), Contra
Faustum (398-404), 22-74.
Si ces préceptes de Jésus-Christ
s’observaient sur la terre dans la République chrétienne, la guerre même ne se
ferait pas sans bienveillance, mais seulement pour procurer plus facilement aux
vaincus la participation de la piété et à la justice.
Augustin (354-430), Lettre
138 à Marcellinus (412).
Sont dites justes les guerres qui punissent des
injustices ; ainsi doit être combattu un peuple ou un État qui aurait
négligé de punir un méfait commis par les siens ou de restituer ce qui a été
injustement ravi.
Augustin (354-430), Questions
sur l’Heptateuque (Quaestiones In
Heptateuchum) (419-420), IV, 10.
Même la guerre causée par la cupidité humaine ne peut nuire
en rien, on seulement au Dieu incorruptible, mais même à ses saints. Au
contraire, on constate qu’elle leur est plutôt utile, pour exercer leur
patience, pour humilier leur âme, pour leur apprendre à supporter la discipline
paternelle de Dieu.
Augustin, Contra
Faustum (398-404), XII-75.
Les brigands vivent en paix entre eux, et les loups se
rassemblent chaque fois qu’ils sentent l’odeur du sang (…) ne croyez donc pas
que la paix soit bonne partout et toujours. Elle est parfois plus mauvaise et
plus dure que n’importe quelle guerre.
Isidore de Péluse ( ?-449), Lettres, IV, 36.
Juste est la guerre qui, en vertu d’un édit, est faite pour
récupérer des biens ou pour repousser des ennemis.
Isidore de Séville (~560-636), Étymologies (~630), XVIII, I.
Celui qui, par l’autorité du prince ou du juge, s’il est une
personne privée, ou s’il est une personne publique, par zèle de la justice, et
comme par l’autorité de Dieu, se sert du glaive, celui-là ne prend pas lui-même
le glaive, mais se sert du glaive qu’un autre lui a confié.
Thomas d’Aquin (1225-1274), Somme théologique (1266-1273), II-II, qu.40, art. 1.
La guerre est douce à ceux qui n’en ont pas l’expérience. (Dulce bellum inexpertis)
Érasme (1469-1536), Adages,
3301 (1515).
Un prince ne doit donc avoir
d’autre objet ni d’autre pensée, et ne doit rien choisir d’autre pour art (arte), hormis la guerre ; car c’est
le seul art qui convienne à celui qui commande ; et elle a une telle vertu
que non seulement elle maintient (mantiene)
ceux qui sont nés princes, mais elle a, maintes fois, fait s’élever à ce rang
des hommes de condition privée.
Machiavel (1469-1527), Le
Prince (1532 posthume), chapitre XIV.
Les armées bien composées sont
l’appui le plus solide de tous les États, et il ne peut y avoir sans elles ni
lois sages, ni aucun établissement utile.
Machiavel (1469-1527), Discours
sur la première décade de Tite-Live (1532 posthume), livre III, chapitre
XXXI.
La guerre est un conflit armé,
public et juste (armorum publicorum justa contentio est).
Alberico Gentilis (1552-1608), De jure belli (1598), livre I, chapitre
II, Belli Definitio.
C’est une étrange et longue
guerre que celle où la violence essaie d’opprimer la vérité. Tous les efforts
de la violence ne peuvent affaiblir la vérité, et ne servent qu’à la relever
davantage. Toutes les lumières de la vérité ne peuvent rien pour arrêter la
violence, et ne font que l’irriter encore plus.
Pascal (1623-1662), Douzième
provinciale.
Deux cités sont naturellement
ennemies : les hommes, en effet, à l’état de nature sont ennemis.
Spinoza (1632-1677), Traité
politique (1677, posthume), chapitre III, § 13.
S’il arrive souvent en effet, qu’on
élise un roi à cause de la guerre, parce que les rois font la guerre avec
beaucoup plus de bonheur ; c’est là en réalité une sottise puisque, pour
faire la guerre plus heureusement, on consent à la servitude dans la paix à
supposer qu’on doive admettre que la paix règne dans un État où le souverain
pouvoir a été confié à un seul à cause seulement de la guerre et parce que le
chef montre principalement dans la guerre sa valeur et ce qu’il y a en lui qui
profite à tous ; tandis qu’au contraire un État démocratique a cela
surtout de remarquable que sa valeur est beaucoup plus grande en temps de paix
qu’en temps de guerre.
Spinoza (1632-1677), Traité politique (posthume, 1677),
chapitre VII, § 5.
Il ne faut faire la guerre qu’en vue de la paix et, une fois
la guerre finie, les armes doivent être déposées.
Spinoza, (1632-1677), Traité politique (1677, posthume),
chapitre VI, § 35.
La guerre n’est donc point une relation d’homme à homme,
mais une relation d’État à État.
Rousseau (1712-1778), Du
contrat social (1762), livre I, chapitre IV.
Guerre : différend, querelle entre les États ou des
principes souverains, qui ne peut se terminer que par la justice, et qu’on ne
vide que par la force, par la voie des armes.
Dictionnaire de Trévoux (XVIII°).
La guerre est cet état dans lequel on poursuit son droit par
la force.
Emer de Vattel
(1714-1767), Le droit des gens ou
principes de la loi naturelle (1758), livre III, chapitre I.
Aucune guerre n’est punitive.
Kant (1724-1804), commentaire du § 205 du Jus naturae, Edito quinte, Pars posterior d’Achenwall, in Théorie et pratique, traduction
Françoise Proust, GF Flammarion, p.148
La guerre (…) n’a pas besoin d’un
motif déterminant particulier, mais paraît greffée sur la nature humaine.
Kant, Projet de paix
perpétuelle (1795)
Dans l’état de nature des États, le droit à la guerre (de
déclencher les hostilités) est la manière licite pour un État de défendre au
moyen de ses propres forces son droit contre un autre État.
Kant (1724-1804), Doctrine
du droit (1795), II, § 56.
Aucune guerre entre États
indépendants ne peut être une guerre punitive (bellum punitivum). En effet, il ne peut y avoir punition que dans
la relation entre un supérieur (imperantis)
et un subordonné (subditum), laquelle
relation n’est pas celle des États entre eux. Et la guerre ne saurait non plus
être une guerre d’extermination (bellum
internecicum).
Kant (1724-1804), Doctrine
du droit (1795), II, § 57.
L’État, en tant qu’institution
fondée sur la contrainte, présuppose la guerre de tous contre tous et son but
consiste à produire au moins l’apparence de la paix.
Fichte (1762-1814), Sur
Machiavel écrivain et sur des passages de ses œuvres (Über Machiavelli als Schriftsteller und Stellen aus seinen Schriften,
1807).
Pour ne pas laisser les systèmes
particuliers s’enraciner et se durcir dans cet isolement, donc pour ne pas
laisser se désagréger le tout et s’évaporer l’esprit, le gouvernement doit de
temps en temps les ébranler dans leur intimité par la guerre ; par la
guerre il doit déranger leur ordre qui se fait habituel, violer leur droit à
l’indépendance, de même qu’aux individus qui, s’enfonçant dans cet ordre, se
détachent du tout et aspirent à l’être-pour-soi inviolable et à la sécurité de
la personne, le gouvernement doit, dans ce travail imposé, donner à sentir leur
maître, la mort.
Hegel (1770-1831), Phénoménologie de l’esprit, traduction
Jean Hyppolite, Aubier, 1941, tome 2, p.23.
La guerre (...) a la
signification supérieure suivant laquelle, comme je l’ai énoncé ailleurs, elle
« conserve aussi bien la santé éthique des peuples en son indifférence
vis-à-vis des déterminités finies [...] que le mouvement des vents préserve les
mers de la putridité dans laquelle un calme durable les plongerait, comme le
ferait pour les peuples une paix durable ou a fortiori une paix
perpétuelle ».
Hegel (1770-1831), Principes
de la philosophie du droit (1822), § 324, traduction Kervégan, P.U.F.,
1998, p.401.
Ce que l’on ne connaît pas (…),
c’est la nature, essentiellement juridique, de la guerre.
Proudhon (1809-1865), La
guerre et la paix (1861)
Il n’y a plus pour l’Allemagne
prussienne d’autre guerre possible qu’une guerre mondiale, et une guerre
mondiale d’une ampleur et d’une violence jamais imaginées jusqu’ici. Huit à dix
millions de soldats s’entr’égorgeront (…). Un seul résultat absolument
certain : l’épuisement général et l’établissement des conditions de la
victoire finale de la classe ouvrière (…).
Friedrich Engels (1820-1895), Préface à la
brochure XXIV de la Bibliothèque social-démocrate (1887)
À l’école de guerre de
la vie. — Ce qui ne me fait pas mourir me rend plus fort.
Nietzsche, Le crépuscule des Idoles (1888), Maximes
et pointes, 8.
La véritable école de
commandement est donc la culture générale. Par elle, la pensée est mise à même
de s’exercer avec ordre, de discerner dans les choses l’essentiel de
l’accessoire, d’apercevoir les prolongements et les interférences, bref de
s’élever à ce degré où les ensembles apparaissent sans préjudice des nuances.
Pas un illustre capitaine qui n’eut le goût et le sentiment du patrimoine de
l’esprit humain. Au fond des victoires d’Alexandre on retrouve toujours
Aristote.
Charles de Gaulle
(1890-1970), Vers l’armée de métier,
1934.
La guerre est la condition légale qui permet à deux ou
plusieurs groupes hostiles de mener un conflit par forces armées.
Quincy Wright (1890-1970), Study of War, Chicago, 1942.
Il y a une race de la guerre qui
est une lutte pour l’honneur, et il y a une tout autre race de la guerre qui
est une lutte pour la domination. La première procède du duel. Elle est le
duel. La deuxième ne l’est pas et n’en procède pas. Elle est même tout ce qu’il
peut y avoir d’étranger au duel, au code de l’honneur. Mais elle n’est pas du
tout étrangère à l’héroïsme.
Charles Péguy
(1873-1914), Note conjointe sur Descartes
et la philosophie cartésienne, juillet 1914.
C’est la guerre qui a l’éclat, et
tout ce qui a éclat touche à la guerre. Les bals de l’opéra, les bijoux des
femmes, les expositions coloniales, les fêtes aériennes, les mannequins parés
et les hommes suffisants, tout cela c’est guerre et encore guerre.
Georges Canguilhem (1904-1995),
« Civilité puérile et honnête », Libres
propos, 20 août 1929.
On n’a pas besoin de prouver par
d’obscurs fragments d’Héraclite que l’être se révèle comme guerre, à la pensée
philosophique ; que la guerre ne l’affecte pas seulement comme le fait le
plus patent, mais comme la patence même – ou la vérité – du réel. En elle, la
réalité déchire les mots et les images qui la dissimulent pour s’imposer dans
sa nudité et dans sa dureté. Dure réalité (cela sonne comme un pléonasme !),
dure leçon de choses, la guerre se produit comme l’expérience pure de l’être
pur, à l’instant même de la fulgurance où brûlent les draperie de l’illusion.
Levinas (1906-1995), Totalité
et infini. Essai sur l’extériorité (1961), Préface.
C’est la guerre qui est le moteur
des institutions et de l’ordre : la paix, dans le moindre de ses rouages,
fait sourdement la guerre. (…) Nous sommes donc en guerre les uns contre les
autres ; un front de bataille traverse la société tout entière,
continûment et en permanence, et c’est ce front de bataille qui place chacun de
nous dans un camp ou dans un autre. Il n’y a pas de sujet neutre. On est
forcément l’adversaire de quelqu’un.
Michel Foucault (1926-1984), Il faut défendre la société, Cours du 21
janvier 1976, Seuil/Gallimard, « Hautes Études, février 1997, p.43-44.
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