Devant une
œuvre d’art, on en oublie les tracas quotidiens, les soucis. On la regarde, on
la lit ou l’écoute et nous sommes comme transportés dans un autre monde.
Autrement dit, l’art fait rêver.
Pourtant,
lorsqu’on assiste à une représentation de L’avare
(1668) de Molière par exemple, on croit reconnaître certains défauts de nos
contemporains, voire les nôtres. Dès lors l’art fait plutôt réfléchir.
On peut donc
se demander si l’art fait rêver ou s’il fait réfléchir, voire l’un et l’autre.
L’art fait
rêver. Car comme le rêve, il présente une image de la réalité. Et cette image,
nous y adhérons comme dans le rêve, voire la rêverie, cet état éveillé où nous
ne nous occupons pas des réalités quotidiennes. Et l’artiste est bien un rêveur
en ce sens qu’il fait abstraction des soucis de la vie pour en montrer une
image qui, finalement, satisfait nos désirs. Dans ses Vénus, Titien
(~1488-1576) nous montre un certain idéal de la beauté féminine. Même la
tragédie ressemble à un rêve comme le cauchemar qui se finit bien au sens où,
spectateur, nous finissons par sortir du rêve. Porter par l’œuvre, nous ne
pouvons réfléchir, c’est-à-dire chercher à connaître.
On peut même
avec Platon, dans La République , dire
qu’à l’instar de la peinture, l’art donne une représentation de l’apparence de
la réalité. Dès lors, comme le rêve, les images de l’art ne correspondent pas à
la réalité. Par exemple les montagnes glacés ruisselant d’eau dans la Sainte Anne , la Vierge et l’enfant Jésus (~1510) de Léonard
sont un paysage imaginaire. C’est pourquoi, de même que dans le rêve, on croit
en ce qu’on croit voir, de même un tableau peut tromper un enfant ou un
ignorant selon Platon. En aucun cas, l’art ne peut faire réfléchir.
Toutefois,
devant un tableau, au théâtre, on sait qu’on a affaire à une image et dès lors,
il ne s’agit pas simplement de rêve car, lorsqu’on rêve, on ignore qu’on rêve.
Dès lors, l’art ne fait-il pas plutôt réfléchir ?
L’art fait
réfléchir. On peut dire avec Hegel dans l’Esthétique,
que l’art répond au besoin spécifiquement humain de s’extérioriser pour prendre
conscience de soi. Dès lors, une œuvre d’art nous coupe de nos soucis
quotidiens mais pour mieux nous faire prendre conscience de l’essentiel de
l’humain. Car réfléchir, c’est prendre du recul avec ce qu’on se représente,
recul absent du rêve qui est bien plutôt adhésion à l’apparence.
Et c’est bien
ce que permet l’œuvre d’art. Le tableau que je contemple me montre une image de
la réalité qui m’apparaît en tant que tel. Dans la vie courante, je ne peux pas
voir pour voir, mais je fais pour faire ou consommer. L’image que propose
l’œuvre d’art permet donc la réflexion sur soi de l’homme, bref, elle lui permet
de se connaître. Le théâtre le montre, notamment le théâtre comique qui nous
montre nos défauts et nous permet d’y réfléchir.
Reste que
l’œuvre d’art n’est pas la seule à nous permettre de nous connaître. On ne peut
donc dire simplement qu’elle nous fait réfléchir. Peut-elle faire rêver et
réfléchir à la fois ? N’est-ce pas absurde si le rêve et la réflexion
s’opposent ?
En créant des
situations imaginaires, l’œuvre d’art fait bien rêver. Mais la rêverie qu’elle
propose conduit également à réfléchir sur notre condition. L’avantage, c’est
qu’elle nous propose toujours une situation singulière : un héros tel
Œdipe aux prises avec un destin cruel. Même la musique nous amène à nous
représenter des situations et donc de pouvoir y réfléchir.
En fait, le
rêve implique à la fois la coupure vis-à-vis de la réalité et qu’on la
représente. L’œuvre d’art exige que l’action soit interrompue. C’est pour cela
que l’œuvre d’art nous fait rêver. Et justement, elle permet ainsi de
réfléchir.
Face à une
toile, une pièce, je peux m’évader. Mais cette évasion est la condition pour
que je puisse réfléchir, soit prendre du recul sur l’homme concret et sa
condition et à se poser des questions sur la réalité de l’homme. Ainsi lorsque
je regarde un tableau de Léonard comme sa Sainte
Anne, je puis simplement m’arrêter à la douceur maternelle qui s’y exprime
ou aller à la signification religieuse et ainsi m’interroger sur la condition
humaine.
Disons donc
pour finir que nous nous sommes interrogés sur la question de savoir si l’art nous
fait rêver ou s’il nous fait réfléchir. Parce qu’il nous coupe de la réalité il
nous fait rêver. Mais parce qu’il représente l’homme, il nous fait réfléchir.
Et il fait l’un grâce à l’autre dans la mesure où il crée des images de l’homme
qui l’amène moins à se connaître qu’à s’interroger sur soi.
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