Sujet : Toute vérité a-t-elle besoin d’être
prouvée ?
On oppose
souvent les sciences aux autres domaines parce qu’elles seraient le lieu où la
vérité y est prouvée. L’expression « scientifiquement prouvée » vise
en ce sens à être un argument d’autorité, voire l’argument d’autorité de la
culture moderne.
Il semble en
effet évident qu’une vérité ait besoin d’être prouvée sans quoi il serait
facile de la contester. C’est la raison pour laquelle les scientifiques
cherchent à prouver leurs hypothèses pour les transformer en connaissances ou
que les philosophes cherchent à rendre raison de ce qu’ils avancent.
Toutefois,
comme toute preuve aurait elle-même besoin d’être prouvée, s’il fallait prouver
toute vérité, non seulement on n’aurait jamais fini de prouver mais en en sens
il n’y aurait aucune vérité prouvée.
On peut donc
se demander s’il y a des conditions qui nous permettent d’admettre des vérités
qui ne seraient pas prouvées et si non, comment entendre que toute vérité a
besoin d’être prouvée.
Pour que
toutes les vérités soient prouvées, il semble évident de les rapporter à
l’expérience. En effet, prouver, n’est-ce pas faire une expérience pour
vérifier si une hypothèse est vraie ou fausse. En ce sens, ce sont les sciences
expérimentales (physique, biologie, etc.) qui prouvent véritablement. Si les
théorèmes des mathématiciens sont vrais, n’est-ce pas parce qu’il est possible
de les appliquer dans l’expérience ? Par exemple, pour prouver que la Terre est ronde, Aristote
proposa comme l’observation d’une forme courbe faite lors des éclipses de Lune :
c’est la forme de la Terre. Il réfute ainsi la thèse selon laquelle la Terre est plate soutenue par
Thalès (fin VII°-VI° av. J.-C.). La preuve a pour rôle de trancher entre des
thèses opposées. Sans elle, aucune controverse ne pourrait s’achever.
Pourtant,
l’expérience ne peut être considérée comme une preuve définitive, car, non
seulement comme elle est particulière, elle ne prouve pas définitivement une
proposition universelle, mais en outre, elle peut confirmer une hypothèse qui
se révélera fausse. Par exemple, Copernic (1473-1543) avait conçu une preuve
expérimentale du mouvement de la
Terre autour du Soleil qui consistait en l’observation d’un
angle différent dans la perception d’une étoile, ce qu’on nomme un effet de
parallaxe. Or, l’astronome Tycho Brahe (1546-1601) crut réfuter la thèse de
Copernic parce qu’il n’observa aucune parallaxe. Ce n’est qu’en 1838 que la
première parallaxe put être observée. Autrement dit, ce qu’une expérience
prouve, une autre expérience peut le réfuter. C’est pourquoi il n’est pas
possible de prouver absolument dans les sciences expérimentales. Aussi, à la
condition d’admettre le caractère provisoire de la preuve, il faut considérer
toutes les vérités des sciences expérimentales comme elles-mêmes provisoires.
En ce sens, il est possible de toutes les prouver, soit directement par une
expérience qui ne les infirme pas, soit indirectement en les déduisant de
propositions prouvées par l’expérience.
Toutefois,
comme toutes les sciences reposent sur des principes, comme on ne peut les
démontrer sans quoi il faudrait admettre d’autres principes et ainsi de suite,
faut-il considérer que ceux-ci sont vrais même s’ils ne sont pas prouvés ?
La raison
entendue comme la faculté qui permet de démontrer ne peut donc tout démontrer.
Dès lors, il faut peut-être convenir qu’il y a d’autres sources de connaissance
de la vérité que la démonstration. C’est notamment ce que Pascal nomme le cœur
dans les Pensées (fragment 110
Lafuma). En effet, si l’on veut démontrer par exemple que l’on ne rêve pas,
nous n’y arriverons pas. De même, un amour vrai ou une vraie amitié ne se
démontre pas. Qui demande des preuves à son ami doute de lui et donc nie la
confiance qui est un caractère de l’amitié. À plus forte raison, la personne
amoureuse qui cherche des preuves trahit la personne aimée. Ce que donc le cœur
rend possible, c’est de sentir la vérité sans passer par les preuves. Même les
mathématiques reposent sur des principes sentis puisqu’on ne peut, sous peine
de tomber dans une régression infinie tout démontrer et tout définir.
C’est la
raison pour laquelle la vérité appartient à la croyance religieuse. La foi dit
Pascal dans les Pensées, c’est « Dieu sensible au cœur » (fragment
424, Lafuma). En effet, refuser que la religion puisse être vraie sous prétexte
qu’il n’est pas possible de la démontrer, conduirait tout aussi bien à refuser
les mathématiques puisque toutes leurs propositions ne peuvent être démontrées.
La raison humaine est donc limitée, ce pourquoi Pascal a pu écrire dans les Pensées que « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point »
(fragment 423, Lafuma). Aussi, toutes les vérités n’ont pas besoin d’être
prouvées.
Toutefois, de
la même façon qu’une amitié qui semblait vraie se révèle fausse par la trahison
de l’ami, la foi ne suffit pas à affirmer qu’une religion est vraie
puisqu’elles ne peuvent être toutes vraies. Aussi, s’il n’est pas illégitime
d’admettre des vérités qui ne sont pas prouvées, il faut préciser qu’il n’est
pas possible de les découvrir. Dès lors, n’y a-t-il pas un sens à considérer
que toute vérité doit être prouvée ?
La raison ne
peut se passer de point de départ et les sciences reposent au moins sur l’idée
que l’expérience dans la mesure où elle est régulière et accessible à tous – ce
qui l’oppose aux prétendues expériences religieuses – doit servir à prouver. Dès
lors, les points de départ de la science comme ils ne peuvent être eux-mêmes
prouvés, sont des hypothèses et donc ne sont pas des vérités. On peut donc dire
que toutes les vérités doivent être prouvées et que ce qui n’est pas prouvée n’est
pas une vérité. C’est en ce sens que les expressions vraie amitié ou vrai amour
signifie simplement véridiques et non que la personne aimée a bien les
caractéristiques qu’on lui prête.
C’est que l’idée
que l’expérience est la condition de toute preuve ne peut pas être prouvée sans
cercle vicieux (ou diallèle). Dès lors, les preuves en tant qu’elles reposent
directement ou indirectement sur l’expérience ne sont vraies qu’hypothétiquement.
C’est pour cela qu’aucune proposition scientifique n’est définitivement prouvée,
parce qu’elle n’est pas absolument prouvable. Cela ne veut pas dire qu’on peut
la contester avec une simple croyance. Il faut de solides expériences et une
théorie qui rende compte de toutes les expériences faites jusque là. Voilà d’où
vient l’impression de solidité des sciences.
Disons en guise de conclusion qu’il n’est pas
possible de soutenir que toutes les vérités doivent être prouvées si on entend
par là comme ordinairement que l’expérience permette d’en garantir la vérité à
jamais. C’est qu’il n’est pas possible de se passer de points de départ pour
prouver. Soit avec Pascal on admet qu’ils sont vrais sans preuves grâce au cœur,
soit on considère plutôt que les points de départ ne sont qu’hypothétiques. Dès
lors, toutes les vérités doivent être prouvées en tant qu’elles ne sont que
provisoires et ceci afin de ne jamais laisser croire que la vérité a été
atteinte.
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