Sujet : Peut-on obéir librement ?
On oppose
souvent la liberté à l’obéissance. Celle-ci suppose qu’on se soumette à un
autre ; celle-là implique que l’on agisse par soi-même, de sorte qu’il
semble absurde de penser qu’on peut obéir librement.
Pourtant, s’il
est vrai que nous sommes libres, n’est-ce pas non plus librement que nous
obéissons ? Ou bien faudrait-il distinguer plusieurs formes
d’obéissance ?
Nous pouvons
donc nous demander à quelles conditions il serait possible d’obéir librement.
La liberté s’oppose-t-elle
toujours à la contrainte ? N’obéit-on pas librement lorsqu’on suit sa
raison ? La liberté n’implique-t-elle pas plutôt qu’on choisit toujours
librement ?
L’obéissance
semble s’opposer à la liberté dans la mesure où elle apparaît comme une
contrainte, c’est-à-dire qu’elle s’oppose à ce que nous désirons faire
directement ou indirectement. Aussi la liberté apparaît-elle comme l’absence de
contraintes. Si par exemple je suis enchaîné au fond d’un cachot, il est clair
que je suis contraint. Et on dira avec raison que je ne suis pas libre. Il en
va de même si j’agis sous la menace. Elle est une contrainte mentale en ce sens
où c’est l’appréhension d’un mal à venir qui me fait obéir. En ce sens, il n’y
a aucune condition qui permet d’obéir librement. N’obéit-on pas librement aux
lois ?
Les lois sont
des obligations, c’est-à-dire qu’il semble que c’est librement qu’on y obéit
parce qu’on estime qu’elles sont bonnes. Pourtant elles apparaissent nécessairement
comme des contraintes lorsqu’elles sont accompagnées de la possibilité de
sanctions ou de réparations en cas de transgressions. À l’inverse, le droit
apparaît comme liberté dans la mesure où il ouvre une possibilité d’action. On
nomme donc les droits des libertés, comme celui de travailler, de voyager, etc.
On peut donc penser avec Hobbes dans le Léviathan
(1651) que la loi s’oppose au droit comme la liberté à la contrainte. Obéir
librement apparaît de prime abord impossible dans toutes les conditions.
Pourtant, il
arrive qu’on résiste à la contrainte. Mieux ! Des hommes bravent le danger
au nom même de la liberté comme la Révolution française l’a montré. N’est-ce pas la
preuve que même l’obéissance est libre ?
En effet,
l’absence de contrainte ne suffit pas pour définir la liberté. Un ruisseau qui
coule, un oiseau qui vole, un cheval qui court dans la prairie n’ont pas de
contraintes. Pourtant, ils ne décident pas de ce qu’ils font. La liberté réside
bien plutôt dans l’action qu’on décide. Or, lorsque nous suivons notre désir,
nous ne choisissons pas vraiment. En effet, le désir ne dépend pas de nous.
C’est bien plutôt lorsque nous agissons à partir de notre raison que nous
sommes véritablement libres puisque la raison est ce qui définit l’homme.
Qu’est-ce à dire ? C’est à moi-même que j’obéis, autrement dit, la liberté
est autonomie au sens étymologique de se donner à soi-même sa propre loi.
D’un point de
vue politique, être libre, c’est obéir à la loi qu’on s’est donnée et c’est
pour cela qu’on peut dire avec Du contrat
social (1762) de Rousseau qu’en république, les citoyens sont libres dans
la mesure où ils décident en commun de la loi, à savoir d’une obligation qui
s’applique à tous. Chacun alors agit en commun avec les autres ou au moins sans
nuire aux autres et sans que les autres puissent lui nuire. À l’inverse, obéir
au tyran qui nous menace, c’est être contraint puisqu’on obéit à un autre.
Lorsque la loi n’est pas la même pour tous, il n’y a pas d’obéissance libre
possible.
D’un point de
vue moral, l’homme est libre lorsqu’il obéit à la loi de la raison,
c’est-à-dire que ce qu’il veut peut l’être par tous les hommes. Et s’il y a
bien obéissance, c’est que souvent notre désir va à l’encontre de notre raison
d’où cette impression de contrainte. À l’inverse, qui n’obéit qu’à ses désirs y
est soumis et ne peut que se sentir l’esclave de lui-même.
Cependant,
lorsque nous allons à l’encontre de notre raison, lorsque nous transgressons
des lois que nous approuvons, c’est bien nous qui le décidons sans quoi nous ne
pourrions être jugés responsables, voire coupables. Dès lors, n’est-ce pas
toujours qu’on obéit librement ?
C’est qu’au
fond la liberté réside dans le choix, plus exactement dans l’autonomie du choix
pour parler comme Sartre dans L’être et
le néant (1943). Par là il faut entendre que notre choix n’est déterminé
par aucune cause extérieure ou intérieure. La chose ou l’animal n’est pas libre
en ce sens car l’un est déterminé par des causes extérieures et l’autre par son
instinct.
Il est vrai
que l’expérience morale nous montrant notre capacité à rejeter le désir au nom
de la raison nous permet de savoir que nous sommes libres. Comme Kant
l’illustre dans la Critique de la raison pratique (1788), si tout
désir peut être vaincu par la peur de mourir, cette dernière peut être vaincue
par l’exigence de faire le bien.
Reste que le
criminel choisit tout aussi librement de faire le mal. Non pas d’ailleurs qu’il
choisisse le mal pour le mal, mais il affirme la validité de son intérêt
particulier contre l’universel. Il se choisit en tant que particulier contre
l’universalité de la raison. Et le crime ne va pas sans risque. Il faut donc
aussi vaincre la peur. Il y a donc là aussi un choix authentique. Même celui
qui a peur et qui agit en fonction d’elle, choisit de se laisser dominer, car,
il lui est toujours possible de décider de lutter jusqu’à la mort. Il est vrai
qu’il y a des combats perdus d’avance. Mais que des hommes s’y engagent, qu’ils
mettent plus haut leur liberté que leur vie, ne montre-t-il pas que le choix de
la vie est également un choix ?
Dès lors,
qu’on obéisse à la loi morale, à la loi juridique ou qu’on obéisse par peur,
c’est toujours librement qu’on obéit. Seule la mauvaise foi, c’est-à-dire la
décision de ne pas se penser comme libre, permet de choisir tout en prétendant avoir
été contraint.
En un mot, il
apparaissait contradictoire d’obéir librement. Toutefois, on a vu que la simple
absence de contraintes sur quoi repose cette contradiction est insuffisante
pour définir la liberté. Il est apparu alors possible d’obéir librement à la
condition d’obéir à sa raison. Mais finalement, quelle que soit la condition,
obéir, c’est choisir la règle qu’on se donne de sorte qu’on peut parce qu’il
n’est pas possible autrement obéir librement.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire