Le canard-lapin de Joseph Jastrow (1863-1944)
Analyse.
L’interprétation consiste à chercher et
à proposer une compréhension du sens ou de la signification d’un texte, d’une
œuvre, d’un geste, d’une pratique culturelle, voire d’un phénomène naturel. Son
résultat s’entend comme interprétation. L’interprétation désigne aussi ce qu’on
comprend par la mise en scène d’une pièce de théâtre ou encore ce qu’on joue à
partir d’une partition musicale. En ce sens, un texte, une œuvre, un geste peut
aussi être une interprétation au sens du résultat.
Pour qu’il y ait interprétation, il faut
qu’il y ait un sens à découvrir et/ou à manifester. C’est la raison pour
laquelle on oppose l’interprétation ou compréhension à l’explication au sens
étroit, c’est-à-dire à la recherche de causes ou de lois causales pour un effet
donné. L’attraction explique la chute des corps sur Terre mais ne l’interprète
pas. De même, le virus HIV explique la maladie qu’est le SIDA. C’est un fait. C’est
une interprétation que d’y voir un châtiment divin.
Pour qu’il y ait interprétation, il faut
aussi que le sens ne se montre pas immédiatement. C’est pour cela qu’elle se
distingue de la simple compréhension qui a cours dans la vie quotidienne et qui
repose sur une certaine familiarité culturelle. Je comprends immédiatement ce
que je dois faire si on me dit « Passe-moi le sel ». Par contre, le Dom Juan (1665) de Molière (1622-1673)
demande à être interprété. La pièce est-elle une critique du libertinage ou une
critique de la religion ? Le poème « H » des Illuminations de Rimbaud (1854-1891)
résiste à l’interprétation et la question se pose même de savoir s’il a un
sens.
L’interprétation pour les faits humains
paraît seule légitime. Il n’en reste pas moins vrai que la foi sous toutes ses
formes semble impliquer la possibilité de tout interpréter, y compris les
phénomènes naturels, ceux que les sciences expliquent. À l’inverse, quant aux
faits humains eux-mêmes, les interpréter, c’est considérer que l’homme est un
« empire dans un empire » (ce que
refuse Spinoza qui a inventé l’expression, cf. Éthique, III, Préface).
Pour que des sciences de l’homme soient
possibles on peut donc penser qu’il faut refuser toute interprétation et
chercher à expliquer, c’est-à-dire chercher les causes des faits humains. C’est
pourquoi Durkheim pose que « La
première règle et la plus fondamentale est de considérer les faits sociaux
comme des choses » dans Les
règles de la méthode sociologique (1894).
Inversement, pour distinguer justement
leur « objet », l’homme, sans le réduire au statut d’objet s’il est
vrai qu’il est aussi sujet,
c’est-à-dire un être conscient et responsable de ses pensées et de ses actes,
les sciences de l’homme ne doivent-elles pas tout au contraire se caractériser
par une méthode nouvelle, celle de l’interprétation, c’est-à-dire une
herméneutique s’il est vrai que c’est par l’homme que le sens advient dans le réel, c’est-à-dire ce qui est
indépendamment de la représentation qu’on s’en fait ?
Or, interpréter un geste, un mot, une
action exige de connaître le tout dans lequel elle s’inscrit. Inversement, pour
connaître le tout, il faut connaître les parties. L’interprétation paraît enfermer
dans un cercle qu’il est convenu de nommer le cercle herméneutique (qui désigne
l’interprétation).
Problèmes.
Deux problèmes donc.
Premièrement, qu’est-ce qu’il est
légitime d’interpréter ? Tout dans le réel peut-il être interprété ou bien
seulement ce qui émane du sujet ou bien faut-il refuser d’interpréter et
seulement expliquer ?
Deuxièmement, s’il faut interpréter,
s’agit-il de procéder comme dans toutes les autres sciences avec une méthode
hypothético-déductive ou s’agit-il d’un art qui repose finalement sur des
préjugés indispensables ou sur une inspiration géniale ?
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