Le
préjugé est bon, en son temps ; car il rend heureux. Il ramène les peuples
à leur centre, les rattache plus solidement à leur souche, les rend plus
florissants selon leur caractère propre, plus ardents et par conséquent aussi
plus heureux dans leurs penchants et leurs buts. La nation la plus ignorante,
la plus remplie de préjugés est à cet égard souvent la première : le temps
des désirs d’émigration et des voyages pleins d’espoir à l’étranger est déjà
maladie, enflure, embonpoint malsain, pressentiment de mort.
Herder (1744-1803), Une autre philosophie de l’histoire
(1774), trad. Max Rouché, Paris, Aubier, pp.185-187.
Vous voyez,
Monsieur, que dans ce siècle de lumières, je ne crains pas d’avouer que chez la
plupart d’entre nous les sentiments sont restés à l’état de nature ; qu’au
lieu de secouer tous les vieux préjugés, nous y tenons au contraire tendrement
et j’ajouterai même, pour notre plus grande honte, que nous les chérissons
parce que ce sont des préjugés – et que plus longtemps ces préjugés ont régné,
plus ils se sont répandus, plus nous les aimons. C’est que nous craignons
d’exposer l’homme à vivre et à commercer avec ses semblables en ne disposant
que de son propre fonds de raison, et cela parce que nous soupçonnons qu’en
chacun ce fonds est petit, et que les hommes feraient mieux d’avoir recours,
pour les guider, à la banque générale et au capital constitué des nations et
des siècles. (...) En cas d’urgence le préjugé est toujours prêt à
servir ; il a déjà déterminé l’esprit à ne s’écarter jamais de la voie de
la sagesse et de la vertu, si bien qu’au moment de la décision, l’homme n’est
pas abandonné à l’hésitation, travaillé par le doute et la perplexité. Le
préjugé fait de la vertu une habitude et non une suite d’actions
isolées.
Edmund Burke (1729-1797), Réflexions sur la Révolution de France et
sur les procédés de certaines sociétés à Londres, relatif à cet événement
(1790)
Le
préjugé héréditaire est une sorte de raison qui s’ignore. Il a ses titres aussi
bien que la raison elle-même ; mais il ne sait pas les retrouver ; à
la place des bons, il en allègue d’apocryphes. Ses archives sont
enterrées ; il faut pour les dégager des recherches dont il n’est pas
capable ; elles subsistent pourtant, et aujourd’hui l’histoire les remet
en lumière. – Quand on le considère de près, on trouve que, comme la science,
il a pour source une longue accumulation d’expériences : les hommes, après
une multitude de tâtonnements et d’essais, ont fini par éprouver que telle
façon de vivre ou de penser était la seule accommodée à leur situation, la plus
praticable de toutes, la plus bienfaisante, et le régime ou dogme qui
aujourd’hui nous semble une convention arbitraire a d’abord été un expédient
avéré de salut public. Souvent même il l’est encore ; à tout le moins,
dans ses grands traits, il est indispensable, et l’on peut dire avec certitude
que, si dans une société les principaux préjugés disparaissaient tout d’un
coup, l’homme, privé du legs précieux que lui a transmis la sagesse des
siècles, retomberait subitement à l’état sauvage et redeviendrait ce qu’il fut
d’abord, je veux dire un loup inquiet, affamé, vagabond et poursuivi.
Hyppolite Taine (1828-1893), Les origines de la France contemporaine
(1875-1893).
Les principes sont souvent des guides pour l’action plus efficaces
lorsqu’ils apparaissent sans plus comme des préjugés irraisonnés, un sentiment
général que certaines choses “ne se font pas” ; tandis que dès l’instant
où ils sont énoncés explicitement, l’on commence à spéculer à propos de leur validité
et de leur exactitude.
Friedrich von
Hayek (1899-1992), Droit,
Législation et Liberté, tome I (1973), p.71.
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