On
considère souvent certains soldats comme des sauvages ou des barbares. On pense
ainsi que c’est la culture qui nous humanise, autrement dit qui nous rendrait
plus humains. Toutefois, la cruauté use des outils de la culture. Aussi, y
a-t-il un sens qui fait que la culture nous rend plus humains ? Elle nous
rend simplement humain car sans elle nous sommes des animaux ; elle nous
rend plus humain lorsqu’elle est ouverte et universelle ; et nous rend
plus humain quand elle éduque en nous la moralité.
Seule
la culture permet à l’homme de développer les aptitudes qui amènent à le
qualifier d’humain. Il doit apprendre à trouver sa nourriture avec des armes ou
des outils, il doit apprendre qui il peut épouser, etc. Par culture on entend
tout ce dont nous héritons en l’acquérant, par imitation ou bien par un
apprentissage déterminé. Sans culture, l’homme n’est même pas un animal faute
d’instincts qui lui dictent ses conduites pour vivre.
Or,
il y a diverses cultures. Chacune définit une humanité de sorte que cela n’a
pas de sens de dire que la culture nous
rend plus humains. On peut alors dire avec Merleau-Ponty dans la Phénoménologie de la perception (1945) que
tout en l’homme est naturel et culturel de sorte qu’il n’y a pas de norme de
l’humain qui serait en quelque sorte un naturel qu’il aurait à exprimer.
Cependant,
on reprend des conduites de certaines cultures pour enrichir la sienne et on en
rejette d’autres comme le cannibalisme. N’y a-t-il pas une culture unique qui
rend l’homme plus humain ?
En
effet, au fur et à mesure que les hommes inventent des savoirs, des
savoir-faire etc., certains d’entre eux améliorent l’existence humaine. C’est
vrai pour les techniques. Une hache de fer est bien meilleure qu’une hache de
pierre et une machine-outil est encore plus efficace. Mais c’est vrai également
des connaissances, voire de la justice. Les Anciens admettaient l’esclavage que
nous rejetons car il est contraire à l’idée du genre humain que nous nous
faisons. Le cannibalisme disparaît.
Aussi,
sont-ce des cultures qui se veulent exclusives, qui prônent la violence, qui
amènent certains hommes à être inhumains, c’est-à-dire à être cruels vis-à-vis
d’autres hommes pour satisfaire leurs désirs au dépend des autres, voire pour
satisfaire leur désir de cruauté. Jamais un animal ne torture en connaissance
de cause un membre de son espèce. Nombre de cultures humaines la pratiquent
comme les anciens Iroquois avec leurs prisonniers ou les Aztèques avec leurs
sacrifices humains. On peut donc avec Kant dans son Traité de pédagogie parler d’un progrès dans l’éducation qui permet
à la culture comme connaissance de fonder la discipline comme amélioration par
l’homme de ses désirs.
Néanmoins,
si les désirs des hommes les poussent à s’affronter, cela semble justement dépendre
du développement de la culture qui oppose les hommes et les rend inhumains ?
Or, ce que la culture peut faire, rendre les hommes inhumains, ne peut-elle pas
le faire autrement et les rendre plus humains ?
On
ne peut nier que la guerre est un phénomène culturel. Elle oppose des groupes
qui ne sont pas toujours de cultures différentes, comme les Français et les
Espagnols au XVII°. Si elle a une origine culturelle, c’est parce qu’elle prend
sa source dans les désirs des hommes qui sont illimités. Rousseau, dans le Discours sur l’origine et les fondements de
l’inégalité parmi les hommes (1755), attribue à certains progrès de la
technique le développement de la misère et de l’esclavage, c’est-à-dire
lorsqu’elle implique la dépendance des hommes les uns des autres, ce qui arrive
avec la métallurgie et l’agriculture. Comme c’est la culture qui façonne les
désirs humains, l’accroissement de ceux-ci rend les hommes inhumains au sens de
cruels. Pour sa part Lucrèce dans De la
nature imagine que le premier qui se recouvrit d’une peau de bête fut assassiné
par les autres pour le dépouiller.
Mais
en réalité, c’est à la culture de tourner vers l’humain ce qui en elle est
potentiellement inhumain. C’est qu’en effet, c’est plutôt un défaut de culture
au sens d’une éducation morale qui fait qu’on en reste aux désirs suscités par
la culture au sens de l’héritage. La culture qui consiste à prendre soin de soi
et non à recevoir passivement les inventions des autres, conduit bien plutôt
par la réflexion qu’elle suscite à ne pas tomber dans le piège des désirs infinis
et vains et à se limiter pour vivre le plus harmonieusement possible.
Disons
donc qu’au problème de savoir s’il y avait un sens à penser que la culture nous
rend plus humains, nous avons vu que la diversité des cultures entendues comme
inventions de façons d’être qu’on hérite, ne permet pas de l’affirmer. Par
contre, la culture, dans la mesure où elle est ouverte, rend plus humain que
celles qui font des autres de simples objets. Encore faut-il qu’elle soit
l’œuvre de l’individu prenant activement soin de lui-même, conformément à
l’étymologie latine du mot.
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